En sept fragments agencés comme les cercles de l’enfer chez Dante, Dukovski esquisse un portrait désabusé de l’inaptitude de l’homme à trouver du bonheur parmi les siens.
Esthétique du fragment chez ce jeune auteur macédonien qui renoue à sa façon à un théâtre de l’absurde à l’image sans doute des chaos de notre monde actuel. Chaque séquence, en effet, semble ne déboucher sur rien. Et néanmoins, entre elles, des leitmotive tissent une trame qui les unit, les rend comparables, fait émerger des thématiques consanguines.
Les récurrences se multiplient, verbales, gestuelles, symboliques. Ainsi la nécessité de regarder et le constat d’être malvoyant ou aveuglé. Ainsi le désir de nouer des rapports fusionnels et la fatalité de couper les liens, avec pour corolaire départs et retours, déroutes et retrouvailles. Ainsi le questionnement spirituel sur le sens de la vie et sa réponse incarnée dans le sexe, avec en toile de fond l’aspiration à la mort. Ainsi ces fraises, rouge fruit échangé, partagé de lieu en lieu, de moment en moment, image sensuelle, sanglante, fragile.
À l’intérieur des sept cercles (Sens - Joie - Foi - Espérance – Amour - Honneur - Péché), des êtres se cherchent, se trouvent, s’écartent. Ils se parlent sans s’entendre, pratiquent avec volubilité une parole en quelque sorte aphasique. Ils espèrent sans avenir. Ils réclament une beauté qu’ils n’expriment que par la banalité, le vulgaire ou le cru. Ils s’efforcent irréparablement de savoir comment vivre. Ils ressassent des inventaires pour bilan négatif. Ils affirment des velléités de se sacrifier pour l’autre sans jamais en concrétiser l’acte. Ils cherchent en vain leur identité alors qu’à la fin de chacun des affrontements s’éparpillent des plumes arrachées à des anges.
Chaos des âmes, chaos des hommes
Ce grand désordre des guerres, des confrontations, des crises, des drames se déroule dans un décor disloqué, composé d’éléments scéniques disparates comme abandonnés en coulisses au milieu de praticables à pente raide. Les quinze jeunes comédiens issus de l’Ecole professionnelle supérieure d’Art dramatique (EPSAD) du Nord Pas-de-Calais donnent corps et voix à cette œuvre exigeante. Ils s’efforcent au mieux de rendre viables des personnages sans psychologie, aux présences éphémères mais paroxystiques, témoins permanents et acteurs momentanés du destin qui les dépasse.
La mise en scène de Stuart Seide occupe tout l’espace, le quadrille, le découpe. Elle accentue les tensions qui hantent les duos ou trios protagonistes, tout en figeant la masse attentive des figurants, spectateurs privilégiés impuissants. La brutalité des situations évite tout réalisme au premier degré et atteint sa plénitude symbolique au cours de la partie qui évoque le viol.
Au Théâtre du Nord, place De Gaulle à Lille, du 26 juin au 2 juillet 2009 (www.theatredunord.fr - 03 20 14 24 24)
Quel est l’enfoiré qui a commencé le premier ?
Texte : Dejan Dukovski (traduction : Harita Wybrands ; éd. l’Espace d’un Instant-Maison d’Europe et d’Orient)
Mise en scène : Stuart Seide assisté de Sébastien Amblard
Distribution : Guillaume Bachelé, Lucie Boissonneau, Lyly Chartiez, Marie Clavaguera Pratx, Jonathan Devred, Antoine Ferron, Noémie Gantier, Julien Gosselin, Sarah Lecarpentier, Alexandre Lecroc, Gwenaël Przydatek, Victoria Quesnel, Tiphaine Raffier, Géraldine Roguez, Renaud Triffault
Scénographie : Philippe Marioge
Costumes : Fabienne Varoutsikos
Son : Marco Bretonnière
Lumières : Bernard Plançon
Maquillages : Catherine Nicolas
Chant final, composition, direction : Jacques Schab
Assistante chorégraphie : Yano Iatridès
Production : Théâtre du Nord ; Epsad
Photos © Eric Legrand