20 janvier 2004
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Note : ce spectacle a été vu en janvier 2004 à Lyon, Espace 44 (1er arrondissement)
LE CHANT D'HONNEUR DES CANUTS
Parler des canuts à Lyon, c’est parler au cœur des gones. Installés dans le quartier mythique de la Croix-Rousse et ses « pentes », « la colline qui travaille », en opposition à Fourvière « la colline qui prie », les canuts étaient les ouvriers de la soie qui dès 1831 se soulevèrent, à Lyon, contre l’industrialisation galopante, symbolisée par le métier à tisser de Jacquard, et les abus des marchands quant aux conditions tarifaires. Leurs combats augurèrent selon Marx des premières rebellions contre le monde bourgeois et donnèrent naissance aux premières sociétés mutualistes.
Tout commence lorsque, à la suite des revendications des chefs d’ateliers pour la mise en place d’un « tarif légal de vente », le Préfet Bouvier du Molart (personnage historique) convoque en octobre 1831 fabricants et responsables d’ateliers pour s’entendre. Mais nombre de marchands donnent du fil à retordre aux partisans de cet accord, invoquant la non-représentativité des signataires. De là vont commencer les échauffourées dont le bilan, quelques semaines plus tard, sera lourd de 89 morts et 324 blessés, tombés au « chant d’honneur » ; un chant qui, loin du « bistanclaquepan » (1), cadence la passion de leur métier, et que les personnages, chacun à leur façon, nous livrent au gré de la pièce.
Le texte de Roland Thevenet nous plonge dans le quotidien tourmenté de deux familles ouvrières fictives, à la manière des beaux romans du 19ème, tels Le Bonheur des dames (Zola) pour rester dans la proximité thématique, ou Frédéric Moreau dans L’Éducation sentimentale (Flaubert), quand l’histoire devient à la fois décor et unité d’action. Au fil des scènes, se tissent et se détissent ainsi les espoirs et les désillusions, les quêtes et les incertitudes de plusieurs générations d’artisans ; déboussolés, certes, mais prêts à défendre leur savoir faire et sa perpétuation. Il y a du Rousseau dans cette défense patrimoniale du travail manuel, même si l’un des personnages revendicateurs réfute une référence au philosophe des Lumières.
La lecture terriblement contemporaine saute aux yeux, « sans instrumentaliser les Canuts », se défend Roland Thevenet, également metteur en scène. Qu’elle touche la marchandisation de la culture, la fragilité de l’intermittence, l’élitisme de certains spectacles ou le populo-démagogisme audiovisuel, cette fresque des canuts nous interroge sur la valeur du travail à l’heure de l’irréversible mondialisation. Chacun y trouvera matière à un regard différent sur son propre univers professionnel pour y puiser une relecture plus intime.
Les interprétations des deux personnages principaux confèrent à la pièce une sacrée étoffe. Bernard Gerland, par son appropriation subtile du texte, campe avec une saisissante authenticité ce maître tisserand d’un certain âge, qui, cahoté par les mutations rapides du monde économique, bascule entre incompréhension résignée et résistance velléitaire. Claire Maxime, son épouse Rose, apporte le sang révolté de sa jeunesse et son ardeur gracieuse à défendre la cause des femmes qui travaillent dans l’ombre. Voilà des Canuts bien canants (agréables) et forts en cervelle (1). Alors, parodiant la célèbre formule de la mère Cottivet, qui appartient au théâtre de Guignol, « en descendant (à Lyon), montez donc (rue Burdeau, à l’Espace 44) ».
(1) Bruit que faisait les métiers à tisser
(2) La « cervelle de canut » est une spécialité lyonnaise, délicieux fromage blanc battu avec de l’ail, des échalotes et des fines herbes.
La Colline aux Canuts
Par la compagnie du Gardian. Texte et mise en scène : Roland Thevenet Distribution : neuf comédiens professionnels et débutants
Jusqu’au 1er février 2004 à l’Espace 44 – 44 rue Burdeau – Lyon 1er 04 78 39 79 71 – tlj à 20h30 – dim. 16h – relâche le lundi
En savoir plus :
L’histoire des Canuts et de la Croix-Rousse
Le « parler » lyonnais
LE CHANT D'HONNEUR DES CANUTS
Parler des canuts à Lyon, c’est parler au cœur des gones. Installés dans le quartier mythique de la Croix-Rousse et ses « pentes », « la colline qui travaille », en opposition à Fourvière « la colline qui prie », les canuts étaient les ouvriers de la soie qui dès 1831 se soulevèrent, à Lyon, contre l’industrialisation galopante, symbolisée par le métier à tisser de Jacquard, et les abus des marchands quant aux conditions tarifaires. Leurs combats augurèrent selon Marx des premières rebellions contre le monde bourgeois et donnèrent naissance aux premières sociétés mutualistes.
Tout commence lorsque, à la suite des revendications des chefs d’ateliers pour la mise en place d’un « tarif légal de vente », le Préfet Bouvier du Molart (personnage historique) convoque en octobre 1831 fabricants et responsables d’ateliers pour s’entendre. Mais nombre de marchands donnent du fil à retordre aux partisans de cet accord, invoquant la non-représentativité des signataires. De là vont commencer les échauffourées dont le bilan, quelques semaines plus tard, sera lourd de 89 morts et 324 blessés, tombés au « chant d’honneur » ; un chant qui, loin du « bistanclaquepan » (1), cadence la passion de leur métier, et que les personnages, chacun à leur façon, nous livrent au gré de la pièce.
Le texte de Roland Thevenet nous plonge dans le quotidien tourmenté de deux familles ouvrières fictives, à la manière des beaux romans du 19ème, tels Le Bonheur des dames (Zola) pour rester dans la proximité thématique, ou Frédéric Moreau dans L’Éducation sentimentale (Flaubert), quand l’histoire devient à la fois décor et unité d’action. Au fil des scènes, se tissent et se détissent ainsi les espoirs et les désillusions, les quêtes et les incertitudes de plusieurs générations d’artisans ; déboussolés, certes, mais prêts à défendre leur savoir faire et sa perpétuation. Il y a du Rousseau dans cette défense patrimoniale du travail manuel, même si l’un des personnages revendicateurs réfute une référence au philosophe des Lumières.
La lecture terriblement contemporaine saute aux yeux, « sans instrumentaliser les Canuts », se défend Roland Thevenet, également metteur en scène. Qu’elle touche la marchandisation de la culture, la fragilité de l’intermittence, l’élitisme de certains spectacles ou le populo-démagogisme audiovisuel, cette fresque des canuts nous interroge sur la valeur du travail à l’heure de l’irréversible mondialisation. Chacun y trouvera matière à un regard différent sur son propre univers professionnel pour y puiser une relecture plus intime.
Les interprétations des deux personnages principaux confèrent à la pièce une sacrée étoffe. Bernard Gerland, par son appropriation subtile du texte, campe avec une saisissante authenticité ce maître tisserand d’un certain âge, qui, cahoté par les mutations rapides du monde économique, bascule entre incompréhension résignée et résistance velléitaire. Claire Maxime, son épouse Rose, apporte le sang révolté de sa jeunesse et son ardeur gracieuse à défendre la cause des femmes qui travaillent dans l’ombre. Voilà des Canuts bien canants (agréables) et forts en cervelle (1). Alors, parodiant la célèbre formule de la mère Cottivet, qui appartient au théâtre de Guignol, « en descendant (à Lyon), montez donc (rue Burdeau, à l’Espace 44) ».
Stephen BUNARD
(1) Bruit que faisait les métiers à tisser
(2) La « cervelle de canut » est une spécialité lyonnaise, délicieux fromage blanc battu avec de l’ail, des échalotes et des fines herbes.
La Colline aux Canuts
Par la compagnie du Gardian. Texte et mise en scène : Roland Thevenet Distribution : neuf comédiens professionnels et débutants
Jusqu’au 1er février 2004 à l’Espace 44 – 44 rue Burdeau – Lyon 1er 04 78 39 79 71 – tlj à 20h30 – dim. 16h – relâche le lundi
En savoir plus :
L’histoire des Canuts et de la Croix-Rousse
Le « parler » lyonnais