20 août 2007
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ERRANCES ROYALES
Après la Vie de Galilée de Brecht et La Mort de Danton de Büchner, Jean-François Sivadier s’attaque à la tragédie shakespearienne. Avec ambition et difficultés.
Sur le plateau, Jean-François Sivadier se promène. Il sert des pinces, donne des accolades, lance des signes de connivence à ses acteurs. Les acteurs, eux, regardent les spectateurs s’installer. Une fois n’est pas coutume : c’est nous qui sommes les premiers observés. Le spectacle a déjà commencé sans même qu’on le sache, la première réplique perce le brouhaha de la salle et ça y est, nous sommes les sujets du Roi Lear. Il pénètre l’espace, traverse la scène d’une traite, bondit dans la foule. Lear est éclatant, superbe, dans la force de l’âge. Il a atteint une force sereine telle que, pour lui, il n’est plus nécessaire de régner. Il lâche la force pour la seule sérénité. Mais Lear ne se défait pas si facilement de sa peau d’animal politique. Sans la couronne ni le sceptre, il n’est plus rien. Ou plutôt, il devient homme, lui qui n’a jamais été que Roi. « Qui est celui qui me dira qui je suis ? » est la question récurrente qui traverse toute la pièce. Il faudra l’abandon, la folie, la tempête, le sacrifice de sa fille la plus tendre, la mort enfin pour que Lear puisse enfin lâcher la parole politique pour le silence des mortels. Troquer enfin son costume d’acteur pour devenir un spectateur du monde qui l’entoure.

La mise en scène de Jean-François Sivadier épouse la trajectoire de Lear et son expérience du doute. La première scène, triomphale, laisse exploser la puissance du vieux lion. Nicolas Bouchaud rugit, grogne, râle et finalement son pouvoir l’emporte sur sa lucidité. Il bannit sa fille, la sincère Cornélia, d’un revers de manche royale. Puis la suprématie de Lear s’effiloche, son influence se délite. Le désordre succède à l’ordre. Le plateau se craquelle, la surface de la terre devient un chaotique miroir de l’âme de Lear. Lear, lui, tâtonne dans le noir. Repoussé par ses filles, il s’accroche désespérément à ceux qui ne sont rien, comme lui. Le fou, puis après lui le mendiant. Surtout il connaît l’épreuve de la solitude : seul, ni roi, ni père, il peut enfin se reconnaître.
Quand le Roi Lear s’égare
Mais le long de l’errance de Lear, le spectacle se perd également. Après un départ tonitruant, durant lequel Sivadier embarque lestement les spectateurs, la mise en scène s’égare, les contrastes se brouillent. Lear côtoie la folie, l’étreint à s’y fondre lui-même. Dans le même mouvement, la pièce se dilue. On sent bien que le metteur en scène et son principal comédien ne savent plus trop où ils mettent les pieds. Le délire de Nicolas Bouchaud devient pénible. Pénible car sans ligne directrice.
Pourtant il y a de beaux moments. Il y a cette scène d’ouverture, où Sivadier donne à voir du théâtre, alors que tant de metteurs en scène du In avignonnais préfèrent l’intime et les micros. Là, il y a des corps, des voix, de l’action. Il y a également ce duo tragique et burlesque entre Lear et son fou, entre Nicolas Bouchaud et Norah Krief. L’un et l’autre s’étripent et s’épaulent. Le fou fonctionne comme révélateur photographique du roi. Et ça marche. Là, aussi, la parole et le geste ont un sens.
Apparemment Jean-François Sivadier s’est laissé dépasser par le texte shakespearien. Il semble avoir contracté le mal du Roi Lear. Il n’a pas su ou pas pu faire de choix. Pourtant celui de faire un Roi Lear, appuyé sur sa béquille grotesque, accolé de son double bouffon, semble l’avoir inspiré. Ces séquences sont les plus réussies. Au final, elles font oublier au spectateur les écueils du spectacle. Avec ce tandem, Jean-François Sivadier se dégage complètement du doute de son sujet. Son Roi Lear devient alors l’un des spectacles les plus généreux d’Avignon.
Le Roi Lear,
Dans le festival du In, dans la cour d’honneur du Palais des Papes.
A voir à la rentrée au théâtre des Amandiers à Nanterre.
Photo © Ch. Raynaud de Lage
Après la Vie de Galilée de Brecht et La Mort de Danton de Büchner, Jean-François Sivadier s’attaque à la tragédie shakespearienne. Avec ambition et difficultés.
Sur le plateau, Jean-François Sivadier se promène. Il sert des pinces, donne des accolades, lance des signes de connivence à ses acteurs. Les acteurs, eux, regardent les spectateurs s’installer. Une fois n’est pas coutume : c’est nous qui sommes les premiers observés. Le spectacle a déjà commencé sans même qu’on le sache, la première réplique perce le brouhaha de la salle et ça y est, nous sommes les sujets du Roi Lear. Il pénètre l’espace, traverse la scène d’une traite, bondit dans la foule. Lear est éclatant, superbe, dans la force de l’âge. Il a atteint une force sereine telle que, pour lui, il n’est plus nécessaire de régner. Il lâche la force pour la seule sérénité. Mais Lear ne se défait pas si facilement de sa peau d’animal politique. Sans la couronne ni le sceptre, il n’est plus rien. Ou plutôt, il devient homme, lui qui n’a jamais été que Roi. « Qui est celui qui me dira qui je suis ? » est la question récurrente qui traverse toute la pièce. Il faudra l’abandon, la folie, la tempête, le sacrifice de sa fille la plus tendre, la mort enfin pour que Lear puisse enfin lâcher la parole politique pour le silence des mortels. Troquer enfin son costume d’acteur pour devenir un spectateur du monde qui l’entoure.

La mise en scène de Jean-François Sivadier épouse la trajectoire de Lear et son expérience du doute. La première scène, triomphale, laisse exploser la puissance du vieux lion. Nicolas Bouchaud rugit, grogne, râle et finalement son pouvoir l’emporte sur sa lucidité. Il bannit sa fille, la sincère Cornélia, d’un revers de manche royale. Puis la suprématie de Lear s’effiloche, son influence se délite. Le désordre succède à l’ordre. Le plateau se craquelle, la surface de la terre devient un chaotique miroir de l’âme de Lear. Lear, lui, tâtonne dans le noir. Repoussé par ses filles, il s’accroche désespérément à ceux qui ne sont rien, comme lui. Le fou, puis après lui le mendiant. Surtout il connaît l’épreuve de la solitude : seul, ni roi, ni père, il peut enfin se reconnaître.
Quand le Roi Lear s’égare
Mais le long de l’errance de Lear, le spectacle se perd également. Après un départ tonitruant, durant lequel Sivadier embarque lestement les spectateurs, la mise en scène s’égare, les contrastes se brouillent. Lear côtoie la folie, l’étreint à s’y fondre lui-même. Dans le même mouvement, la pièce se dilue. On sent bien que le metteur en scène et son principal comédien ne savent plus trop où ils mettent les pieds. Le délire de Nicolas Bouchaud devient pénible. Pénible car sans ligne directrice.
Pourtant il y a de beaux moments. Il y a cette scène d’ouverture, où Sivadier donne à voir du théâtre, alors que tant de metteurs en scène du In avignonnais préfèrent l’intime et les micros. Là, il y a des corps, des voix, de l’action. Il y a également ce duo tragique et burlesque entre Lear et son fou, entre Nicolas Bouchaud et Norah Krief. L’un et l’autre s’étripent et s’épaulent. Le fou fonctionne comme révélateur photographique du roi. Et ça marche. Là, aussi, la parole et le geste ont un sens.
Apparemment Jean-François Sivadier s’est laissé dépasser par le texte shakespearien. Il semble avoir contracté le mal du Roi Lear. Il n’a pas su ou pas pu faire de choix. Pourtant celui de faire un Roi Lear, appuyé sur sa béquille grotesque, accolé de son double bouffon, semble l’avoir inspiré. Ces séquences sont les plus réussies. Au final, elles font oublier au spectateur les écueils du spectacle. Avec ce tandem, Jean-François Sivadier se dégage complètement du doute de son sujet. Son Roi Lear devient alors l’un des spectacles les plus généreux d’Avignon.
Marion GUÉNARD
www.ruedutheatre.info
www.ruedutheatre.info
Le Roi Lear,
Dans le festival du In, dans la cour d’honneur du Palais des Papes.
A voir à la rentrée au théâtre des Amandiers à Nanterre.
Photo © Ch. Raynaud de Lage