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Mois AprÈS Mois

Festival d'Avignon

6 juin 2008 5 06 /06 /juin /2008 17:16
Intervention de Gilles Costaz, critique théâtral le 5 mai 2008, dans le cadre de :

'Le Maître et l'Apprenti': Rencontres Accessibles sur la transmission dans les métiers du théâtre
"La maison d'édition Théâtre et le Critique dramatique"
Avec L'Avant-Scène Théâtre et Gilles Costaz.
le 5 mai 2008 à 19h30:
Auditorium Saint Germain
7ème rencontre du cycle.



C'est un cycle de rencontres autour de la transmission des métiers du théâtre qui s'est déroulé chaque mois depuis octobre 2007, à Paris.

Dans une volonté de valoriser le savoir et le savoir-faire, le cycle de 12 rencontres, entièrement accessible, donne l'occasion d'interagir autour de l'univers du théâtre.

Amateurs, jeunes diplômés, en situation de handicap ou pas, échangent leurs questionnements, leurs inquiétudes avec des professionnels aux expériences reconnues.

Auteurs, metteurs en scène, comédiens, mais aussi costumiers, décorateurs, professeurs d'Art Dramatique, agents et maquilleurs, sont autant de rendez-vous pour que les apprentis et amateurs puissent appréhender ce que ces métiers possèdent de richesses et ce qu'ils demandent d'engagement, de persévérance et de passion. Car le théâtre, s'il est un art de création et de passion qui interpelle ses contemporains, est aussi un art de transmission, de tradition, de révolution permanente, dans le sens de renouvellement.



Pour suivre les initiatives de Regard en France Compagnie.
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22 septembre 2006 5 22 /09 /septembre /2006 19:44
Si vous voulez vous aussi publier une note de recherche, une synthèse d'étude ou un travail universitaire (maximum 8 pages Word), la rubrique Pause Réflexion est pour vous : contact@ruedutheatre.info

Si l’on se penche sur l’état des lieux de la dernière édition du Festival d’Avignon, on ne peut que constater une programmation pour le moins « occupée ». Le théâtre contemporain a mal au monde. Le phénomène n’est pas nouveau mais tend à se confirmer aussi bien dans le In que dans le Off. La prégnance de l’ état de guerre, intime ou collectif, qui sature la plupart des pièces inscrites au programme de cette 60e édition tend à pérenniser l’inquiétude sourde qui traverse depuis plus d’un demi-siècle la plupart des écritures dramaturgiques. Peu ou prou, elles font toutes état du vacillement d’un monde perçu et ressenti comme une menace grandissante pour l’avenir de l’Humanité. Dérouté, inconfortable, perplexe, confronté, parfois sans ménagement à ce théâtre, le spectateur est bousculé, sommé de réfléchir enfin sérieusement à un monde dont il sent bien, même confusément, le basculement et la fuite des repères.

L’ère de la post modernité

L’ère de la post modernité a fait sortir le théâtre de son isolement pour le faire entrer directement dans le vécu du récepteur. Avec le transfert du philosophique au théâtral, la compréhension de la marche du monde est mise en déroute.Il n'y a plus, semble-t-il d'explication qui tienne et convainque. Dès lors, il ne s'agit plus que de faire percevoir d'un monde fracturé dont le centre est perdu, des bribes, des éclats, des fragments eux-mêmes déchirés, insaisissables. Ce qui rend plus sensible encore l'éphémère, appelant de la part de l'assemblée théâtrale une implication plus grande dans une réception participative à laquelle, parfois plus friande d’un théâtre de digestion ou déconcertée, elle rechigne parfois.

Naître, d'Edward Bond © Christophe Raynaud de Lage

Ce théâtre « baroque », de par sa structure même, montre qu'il n'affirme rien et en appelle ainsi à la responsabilité que l'auteur tient à partager avec le lecteur ou le spectateur. Il a cessé de se voir comme le maître du jeu fermé de la fable linéaire construite dans le respect de la doxa. Or, sans l’assise de certitudes effondrées, il ne peut plus y avoir de fable linéaire La posture des dramaturges contemporains adeptes du "chantier" s'inscrit dans une démarche d'engagement éthique et politique. L’action est absente au sens premier du terme. Elle est contenue dans la parole mise à nu. Dans cette optique, l’intime est à examiner sous le double rapport de l’homme vivant à la fois dans le monde des autres mais aussi au plus profond de son propre « dedans ». Le monde extérieur le traverse, le forge, le modèle l’imprime.

« J'ai été bombardé pour la première fois à cinq ans. »

C’est là l’essentiel de la démarche du dramaturge anglais Edward Bond dont trois pièces : Naître, Chaise, Si ce n’est toi, à l’affiche du In, douze ans après les Pièces de guerre en 1994 et toujours dans des mises en scène d’Alain Françon, ont suscité bien des commentaires. Edward Bond, l'un des dramaturges contemporains les plus connus au monde est l'auteur d'une quarantaine de pièces jouées, notamment en France, où elles sont prioritairement créées, en français, avant même de l'être en anglais, dans son propre pays. Son théâtre qui se veut utile, politiquement et socialement, explore profondément, à partir de sa propre expérience ce que signifie - être humain - dans une société qui maltraite constamment l'image de l'homme: « J'ai été bombardé pour la première fois à cinq ans. Le bombardement a continué jusqu'à ce que j'aie onze ans. Plus tard, l'armée m'a enseigné neuf façons de tuer. Et à vingt ans, j'ai écrit ma première pièce. Je suis citoyen d'Auschwitz et citoyen d'Hiroshima. Je suis citoyen du monde humain qui est encore à construire. »

Il propose depuis un demi-siècle, en dépit du scandale provoqué en Angleterre par certaines de ses pièces, à l'exemple de Sauvés, de mettre sur la scène la réalité de nos sociétés afin d'en faire ressortir l'horreur et l'inhumanité avec le dessein d'amener par l'imagination, le spectateur à transformer sa vision du monde et partant, à agir sur lui. Il s'agit d'un théâtre a-dramatique dans lequel il est affirmé, à l'instar de Brecht, dont il ne nie pas l'héritage bien que le tenant à distance, que « l'Art peut et doit intervenir dans l'Histoire en ce qu'il n'est plus seulement un art de l'expression mais aussi un art de l'explication » L'omniprésence de la guerre n'y apparaît que comme symptôme au cœur d'une réflexion existentielle et anthropologique. Inventeur d'un théâtre de l'état de guerre, il s'en sert d'arme de combat contre la menace technologique, la Technomachie en voie de triompher partout et de prendre le pas sur l'humanité : « Nous ne pouvons plus croire, après le siècle que nous venons de vivre que l'histoire est une machine. Cette idée ne peut assurer notre humanité. Elle mène à Auschwitz, elle mène à Hiroshima et elle mènera à Dieu sait quel enfer au cours du prochain siècle. »

Naître, d'Edward Bond © Christophe Raynaud de Lage

Auteur très discuté et beaucoup joué, notamment en France, il est représentatif d’un retour à un théâtre engagé en prise directe avec les préoccupations politiques sociales et historiques. Pour ce faire il n’a de cesse de recréer des situations extrêmes, de tendre vers l’extrémité, afin de prouver comme il l’affirme que l’Art est toujours une question, pas une réponse et qu’il s’agit de le faire entrer en collision avec le spectateur pour provoquer l’accident-théâtre. Or, dans ce temps de l’après-Apocalypse, où se terrent désormais le doute profond et le désenchantement de l’humanité, on n’en finit pas de s’interroger sur la façon dont le théâtre peut encore utilement rendre compte des naufrages de l’Histoire du XXème siècle. A quoi peut servir par exemple une écriture sur les saccages, l'absence, la culpabilité? Que dire et que faire d'un monde exténué de violence? Que dire des vivants et des morts? Que faire d’eux, de leur mémoire et des vies, durablement annexées.

Le silence, c’est la mort

« L'ère du soupçon », que Nathalie Sarraute, la première, avait, sur le versant littéraire, insinuée, au détour des années cinquante, est dépassée. Le soupçon a depuis lors été bel et bien confirmé et nous en sommes tous les héritiers involontaires. De plus, dans la période de crise de la représentation qui traverse le théâtre depuis quelques décennies, conséquence des modes de penser, l’idée même de prétendre "représenter" est devenue aléatoire : comment parler de l’époque, des chocs de son époque alors qu’à l’évidence, le « référent » Beckett des années cinquante et soixante invitait désespérément au silence. Pozzo n’affirmait-il pas : « Ne disons pas de mal de notre époque, elle n’est pas plus malheureuse que les précédentes », n’ajoutait-il pas après un silence : « N’en disons pas de bien non plus » pour en arriver à préférer le silence comme le seul mode de refus acceptable pour ce dramaturge chez qui rien n’est à sauver : « N’en parlons pas ».

Lors des rencontres de France Culture cet été, Edward Bond, a violemment critiqué le postulat défaitiste de Beckett, le jugeant scandaleux et irresponsable. Et de fait, il a bien fallu depuis, faire scène de ce silence, risquer une pensée, la seule encore possible, celle de l’espèce, soutenue par l’obsédante image du bâillon de terre des bouches béantes au fond des charniers et le refoulement des cendres. Le silence, c’est la mort. Le Godot définitivement absent de Beckett a inauguré quant à lui, ce théâtre de la pensée issue de la Catastrophe, rendu à la parole rameutée, à la chair vive d’une présence verbale pleine.

Témoigner autrement

Du côté de la littérature, la parole des romans « occupés » continue d’envahir par vagues successives le champ littéraire du demi-siècle qui vient de s’achever, avec le témoignage post mémoriel des écrivains de la génération issue de la Seconde Guerre mondiale. Il faut croire que les cheminées de l'Histoire, mal éteintes, « refoulent » encore. La dernière décennie du XXe siècle a vu l’ultime vague de l’écriture de Vichy, de la Collaboration et de la Shoah devenue le matériau romanesque de la fin de « l’ère du témoin ». S'y donnent à lire, la blessure collective et la notion de dette éthique héritées de la guerre. Cet ancrage dans l’histoire récente s’est constitué à partir d’un deuil de l'humain, impossible à faire, « d’un passé qui ne passe pas », selon la formule de Henri Rousso, spécialiste de la période de Vichy. Face aux limites de l’impact du travail des historiens sur cette période, trop souvent ressentie comme simple objet d’étude, la littérature, notamment par le détour de l’écriture intime, s’est portée au secours de « l’historique » pour témoigner autrement des désastres générés par deux guerres mondiales, en portant essentiellement le regard sur le plus identifiable, parmi ceux qui ont jalonné un XXe siècle saturé de tragédies.

Le théâtre n’a, bien évidemment, pas attendu les années cinquante pour s’intéresser à l'impact des guerres sur l'individu, mais la période qui court de l’immédiate après-guerre aux années 2000, offre la particularité d’être, comme la littérature romanesque ou la poésie, occupé par la prégnance d'un thème d'une permanente actualité, traversant toutes les écritures, sinon toujours de front, du moins de manière oblique ou en filigrane. Occupées et plus encore, préoccupées par un présent gros du passé et inquiet du futur, peut-on affirmer de la plupart de ces dramaturgies liées à l'état de guerre généralisé de notre temps. Encore qu'on pourrait s'interroger sur ce qui fonde "l'autre théâtre", dit de divertissement, espèce de repos du guerrier, subventionné ou non, dans sa dimension de diversion et d'échappatoire aux problèmes de toutes les époques, celui d’Edward Bond cherche à rendre compte du monde et à agir sur le regard posé sur lui depuis près d’un demi-siècle Le désarroi qui marque l'écriture des auteurs de deux générations successives semble, paradoxalement, avoir redécouvert « l'usage de la parole », au moment même où, confronté à l'abîme entre les « mots et les choses », la jugeant par conséquent inopérante, il commençait à vouloir la confisquer en la rendant inintelligible, à l'image d'un monde évidé de son sens.

La prolifération du « corps de la parole »

Ionesco, Tardieu, chacun dans son registre en ont donné une vision tragique, Ionesco surtout, qui dénonçant la vacuité du langage a dû, paradoxalement, le reconnaître comme le vecteur incontournable de la pensée. Car c’est bien l'armure de la langue actualisée, la puissance des mots incarnés qui demeure le segment privilégié pour s'opposer, sur la page et sur la scène, y compris par la violence de la parole, à la violence de toutes les époques. « La parole est la lumière du corps » affirme Valère Novarina dans Pour Louis de Funès. Depuis les années 80, notamment, le théâtre exhibe sur scène la prolifération du « corps de la parole ». Elle y fait spectacle, dans toute son étrangeté poétique agissant le corps de l'acteur. « Le théâtre est le seul lieu social où on peut assister à la langue » renchérit Jean-Pierre Siméon. Le monologue y triomphe à l’image de son Stabat mater furiosa choisi cette année deux fois par deux compagnies dans le Off. On se rend compte que pour la plupart d’entre eux, écrivains et dramaturges rendent compte, en fouissant le terreau dont ils sont issus à l’instar des Pérec et Modiano, Cormann, Grumberg, Minyana, de périodes qu’ils n’ont pas ou peu connues, souvent antérieures à leur naissance, mais qui hantent leur écriture. Ils ne peuvent pourtant se prévaloir ni témoigner d’aucune expérience directe mais la persistance des effets à la fois traumatiques et culpabilisants des guerres du XXe siècle sur les générations présentes, légitimise la reconstitution qu’ils font, in absentia, des drames et du malheur vécus de près ou de loin, par ceux qui les ont précédés.

Chaise, d'Edward Bond © Christophe Raynaud de Lage

Il se trouve que la position énonciative littéraire, romanesque ou dramaturgique, n’est pas tenue, a priori, de rendre de comptes aux faits bruts, comme c’est, en principe, la tâche des historiens. Il lui est moins difficile, par conséquent, de se constituer comme parole singulière et singularisée à donner à voir et à entendre. La spécificité des écrivains et des dramaturges fait qu’ils sont aussi historiens de leur propre histoire et de celles de leurs contemporains et que la dimension subjective de leur approche leur permet, grâce au filtre de la perception mémorielle, de reconnaître en l'identifiant, l’humain, au rang duquel ils se recensent prioritairement, comme héritiers involontaires ensuite, conscients d’une mémoire empoisonnée à partager, pour s'en prendre, enfin à l’immobilité des consciences oublieuses ou simplement assoupies de leurs contemporains.

Mettre en oeuvre une esthétique de l'horreur "ordinaire"

Le théâtre, cet « art à deux temps », devancier multi millénaire de la littérature s’est forgé, dès ses origines, autour de la thématique de la guerre. Parfois pour en glorifier les hauts faits, souvent pour s’en horrifier et en dénoncer les violences destructrices et le mépris de la vie humaine. La définition « théorème » qu’en donne G. Bouthoul dans son Traité de polémologie: "Forme de violence qui a pour caractéristique essentielle d’être méthodique et organisée quant aux groupes qui la font et aux manières dont ils la mènent. Elle est limitée dans le temps et l’espace, et soumise à des règles juridiques particulières, variables selon les lieux et les époques. Ces traits découlent du caractère organisé des conflits guerriers."

Loin d’épuiser, par la sécheresse du constat, l’ampleur, la complexité et l’ambivalence du phénomène, cela a le mérite au moins, de poser le cadre du "contrat", jusqu'au moment, toutefois, où il disparaît totalement, supplanté par les conflits postmodernes, rampants, dérégulés, tels que nous les connaissons aujourd'hui. Reste, à l'art en général et au théâtre en particulier, la difficulté de mettre en oeuvre une esthétique de l'horreur "ordinaire" pour représenter "cette activité humaine sociale et politique"et la fascination, entre attrait et répulsion, qu’elle exerce sans désemparer sur les hommes. Il est vrai que depuis Les Perses d’Eschyle et l’Antiquité gréco-romaine, le théâtre, art moderne mais pratique archaïque, n’a cessé de représenter la guerre sous toutes ses formes et dans tous ses aspects, longtemps d’ailleurs comme un acte politique, justifié et noble, exaltant une cathartique fête du deuil avec le retour des morts. La haine et la mort, parties intégrantes de l’espèce humaine ont toujours trouvé, au sein d’enjeux individuels et collectifs à se catalyser comme une purgation des passions communes aux hommes, dans le combat et la lutte à mort pour asseoir une quelconque suprématie, même provisoire. Il n'est pas insignifiant de de rappeler que le but des sociétés archaïques consistait davantage à faire du butin et que le premier butin recherché était l’homme à manger, à incorporer en tant que richesse à absorber. On retrouve dans les guerres modernes, étatiques, hyper sophistiquées, par un effet-miroir maintenant bien connu, ce désir primitif, cannibalique, de faire disparaître l’Autre, l’ennemi, le non-homme, le barbare, comme une figure du mal en soi à dissoudre, en tentant de la digérer, étouffant au passage le sentiment refoulé de sa culpabilité.

L'humain étant à la fois essence et matériau, la guerre entretient de ce fait un rapport essentiel avec le conflictuel et le tragique. Guerres de libération, civiles, d’indépendance, impérialistes, justes ou injustes, avec leur habituelle cohorte de sacrifices, d'exils, de diasporas, d'holocaustes et de génocides, toutes ont fait l’objet d'examens et d’investigations visibles dans leurs représentations. La guerre constitue le lieu (le théâtre) mais aussi le motif récurrent, prétexte ou toile de fond suivant sa visée, où braver, en principe en toute légalité, les interdits fondamentaux : tuer, voler, mutiler, porter atteinte à l’intégrité physique et morale de l’Autre, adversaire et ennemi du moment. Il est le lieu spectaculaire par excellence où le sentiment de puissance individuel et collectif peut s’exercer à son comble.

Dès son origine, le théâtre a mis en scène une esthétique du désordre, du chaos, comprenant toujours, après l’éclatement provisoire du cadre sociétal, créé par l’événement guerre, un obligatoire retour post cathartique à un ordre. Il y a longuement brodé sur le combat originaire ou encore le fatum de l’homme tragique aux prises avec les tourments de l’ennui lié à sa finitude constitutive, mais souffrant toujours plus encore de son incapacité à agir durablement sur le monde. Ce concept lui a ainsi servi à mettre en accusation les religions et l’indifférence des dieux aux souffrances humaines, posant ainsi la question centrale autour du Bien, du Mal, de la Providence, si souvent invoqués dans les situations de conflits à dénouer. Le regret ou le refus de toute transcendance, renvoyant inéluctablement l’individu à lui-même. Il est à noter dans cette perspective, que la rupture avec un quelconque ordre divin, a permis au théâtre d’analyser les processus guerriers et les maux qui en découlent, en dehors de toute intervention et donc de toute attente supra humaine. Brecht l'a bien montré, en replaçant l'homme « résistible » au centre de ses dramaturgies. L’abdication de tout espoir d’un baume anesthésiant à base de religion salvatrice, en reconnaissant l'homme comme seul responsable face à ses choix politiques et sociaux, a favorisé l’éclosion d’un espace de création plus que jamais poélitique selon le mot de Enzo Cormann, chargé de combler autrement un vide existentiel réel ou supposé.

Avec la remise en cause des formes et de l’esthétique établies, on assiste dès les années cinquante à l’émergence d’un théâtre de crise, en totale rupture, un théâtre renouvelé par le "désenchantement" d’un monde qui a basculé dans l’après Auschwitz et l'après Hiroshima, secoué en outre par la révélation du moment où sont abandonnées les deux utopies jumelles dominantes : le catholicisme et le communisme. L’idée du bonheur : des « lendemains qui chantent sur la terre comme au ciel » est renvoyée sine die avec le rejet des idéologies. L’homme se découvre nu et seul. C’est ce que proclament, de Beckett à Koltès, en passant par Ionesco et Adamov, les nouvelles écritures théâtrales, en réponse aux événements historiques du XXème siècle (guerres mondiales, civiles, nucléaires, froides, ethniques) qui ont laissé l'homme pantois.
 Chaise, d'Edward Bond © Christophe Raynaud de Lage

Ce théâtre transgressif (par rapport aux esthétiques alors en vigueur) en « convoquant l'horreur » consacrait la faillite de l’humanisme. Il s’agissait en fait du ressac de la vague littéraire et théâtrale née sur les décombres du cataclysme de la Première Guerre mondiale. La confiance en l'humain, déjà recouverte par la boue des tranchées, achève de s'écrouler, deux décennies plus tard, avec la barbarie du phénomène génocidaire. La première déchirure est ainsi confirmée et s’accompagne avec la disqualification de l’histoire, d’un effondrement du langage comme vecteur du sens perdu. Les structures d’un monde ancien venaient de basculer définitivement, déboulonnées par deux guerres mondiales effroyables et la perception d’un univers bouleversé s’en trouvait définitivement remise en question. C’est par-là que le théâtre a commencé à douter de son rôle dispensateur de pensée et que le désengagement de toute une génération d'intellectuels s'est préparée, en dépit d'œuvres affirmant avec force : refus, combat et militantisme fervent (comme le théâtre de la pensée défendu par Sartre et Camus notamment) mais reposant sur des formes trop convenues.

Un théâtre "de paroles"

Face à la situation désastreuse du monde, le théâtre des cinquante dernières années s’est également départi peu à peu de la classique "culture intemporelle", distanciée, objet esthétique admirable, déconnecté des vies vécues au présent, pour prêter une attention plus grande, surtout dans les dernières décennies du siècle, à la situation de l’individu inscrit dans le devenir collectif et revaloriser ainsi la non-fiction. La multiplicité des conflits planétaires du XXe siècle n'en finit pas de réactiver sur des modes parfois distants, les consciences soucieuses de raconter les naufrages de la civilisation en rendant compte au présent d’une actualité d’autant plus tragique qu’elle s'est, au fil du temps, de plus en plus banalisée. La trace des guerres coloniales, de la décolonisation, des génocides, est à lire dans ce théâtre d’une parole réinvestie, au sens psychanalytique du terme. L’écriture contemporaine des cinquante dernières années a donné naissance a un théâtre de « paroles ». Il accorde une place importante au « dire », à un « faire dire » métaphorique du monde, à une parole ordinaire, vraisemblable, même si elle apparaît souvent parcellaire et comme détachée du contexte dans lequel elle s’inscrit. Or il n’y a plus d’image globale et surtout cohérente d’un monde qu’on ne sait plus représenter comme a pu l’affirmer le metteur en scène Stéphane Braunschweig. Il s’agit cependant, à travers la parole, de faire parler le monde en direct, y compris parfois avec les mots de la tribu, en le réfléchissant, en l’analysant à partir de riens susceptibles de produire beaucoup, en misant aussi sur la conscience d' un spectateur plus exigeant, attentif et critique, à détourner, en urgence, de l’invasion des productions culturelles marchandes abrutissantes. Commentant l’expérience concentrationnaire vécue par Robert Antelme l’auteur de L’espèce humaine, Georges Pérec pouvait dire que l’horreur anesthésiait les consciences, mais il s’agissait alors, de l’anesthésie concernant ceux qui avaient vécu la Shoah de l’intérieur. Aujourd’hui, ce sont les images de guerre interposées, instantanés trop vite réifiés, qui filtrent la réalité pour anesthésier les consciences. Elles saturent les écrans des « 20 Heures » télévisuels, installent, paradoxalement, une distance et une irréalité encore plus grandes avec les horreurs des guerres planétaires malgré l’immédiateté d’une "prise de connaissance" de l’événement sur lequel l’esprit ne dispose pas du temps nécessaire pour l’analyser.

D'où la nécessité d'un théâtre de proximité, inclusif, en prise directe avec la société et l'Histoire en mouvement tel que le défend Edward Bond, qui soit à la fois un constat, un commentaire et une interrogation du monde. "Penser le monde dans le monde, à la fois dedans et dehors", comme l’exprime pour sa part Enzo Cormann. Être à la fois le raconteur et le raconté de la violence mondialisée faite à l'homme, notamment par les formes de guerre inédites que génère la violence des mutations économiques et sociales. Bond affirme aussi écrire des pièces sur la violence car « la violence façonne et obsède notre société » et qu' « il serait immoral de ne pas écrire des pièces sur la violence ». Pratiquer, en somme, un théâtre qui soit aussi préventif. En effectuant ce travail de « guetteur » du temps à restituer, en marge des productions marchandes, comme un devoir de mémoire active du présent, autour de figures de hasard à tenter de re-identifier, les dramaturgies des dernières décennies en font aussi par la force de la réciprocité, de la représentance, les figures emblématiques de toutes les victimes passées, présentes et à venir. Afin de hanter littéralement le présent déjà chargé d’une métaphore traumatique, laissée en héritage aux générations encore dans la guerre. La mission de l’écriture et de la représentation scénique consiste pour le dramaturge à se décharger d’une partie de la dette et du fardeau collectifs, en réinvestissant les figures paradigmatiques de la permanence des conflits.

Déceler l’empreinte du mal

L’un des enjeux du théâtre de Bond est de déceler l’empreinte du mal, d’analyser comment l’engrenage de la guerre atteint, touche, modifie, jusqu’à l’absorber, la vie intime et interpersonnelle des individus aux prises avec la complexité de l’événement guerre. Entre vie et mort, les repères essentiels en sont le manque, les ruines, la perte, la dispersion, la recherche des traces.. Celles du mal à détecter se trouve déjà à l’œuvre dans le réseau textuel et l’écriture "virtuellement scénique" du dramaturge. Il appartient à la représentation de montrer sa diffusion. Indéniablement témoignage à charge, chargé de faire respirer son temps, ce théâtre se veut enquête, constat, analyse, révolte sur des faits et les silences qui, trop souvent les accompagnent. Des silences indifférents, oublieux, parfois complices, qui n’en finissent pas de compromettre un futur devenu illisible. La monstration réclame à tout le moins une prise de conscience, au mieux une réparation réciproque de la privation collective que constitue le mal fait aux vivants et aux morts, stagnant dans les mémoires assoupies.

Les dramaturgies de la guerre ont exploré ses différentes formes au cours des siècles, depuis celles exposant l’action guerrière et les scènes de bataille jusqu’à celles, plus souterraines, s’attachant à montrer l’état de guerre y compris sous couvert de paix apparente. Les scènes contemporaines privilégient plutôt la dernière autour de dramaturges négligeant la plupart du temps l’aspect militaire et stratégique des conflits armés à "laisser en blanc" selon l’expression de Cormann, pour s’intéresser davantage aux processus et aux conséquences des déclencheurs politiques et socio-économiques dans la diffusion de leurs effets intimes et collectifs. Il ne s'agit plus d'exalter l'image d'Épinal d'un quelconque héroïsme propre à des représentations grandioses mais dépassées de la guerre. Il s'agit, au contraire, de le saper de l’intérieur en montrant, plutôt que la "geste guerrière", le quotidien sordide, au ras de la misère ordinaire. comme l'a fait le théâtre épique de Brecht et telle que l’exprime la trilogie de Bond, en refusant la "mythologie" longtemps attachée à l’image des hauts faits guerriers, tels que le théâtre classique et ses suivants les ont longtemps glorifiés, souvent relayés depuis par le cinéma.

Les outrages faits au corps

Le but recherché étant de déshéroïser cette activité humaine sociale et politique, pour reprendre la définition de Bouthoul. En affirmant souvent que c’est d’abord le corps souffrant qui y est exposé et mis en jeu. « La guerre consiste à faire entrer un morceau de fer dans un morceau de chair. » rappelait trivialement Victor Hugo. Les guerres du XXe siècle ont la particularité d’avoir inventé, non pas l’horreur dont l’histoire tout entière, hélas, ne cesse de régurgiter les massacres et les atrocités, mais sa planification et même son industrialisation, en perpétrant avec les génocides à l’échelle planétaire, la forme ultime de la destruction et de l’anéantissement organisés. Le génocide des Arméniens en 1915 avait mal auguré du XXe siècle naissant. Près d’un siècle plus tard, il en attend toujours sa reconnaissance. Celui, industrialisé, des Juifs d’Europe, le plus traumatisant pour la collectivité, en raison du mythe fondateur négatif qu'a représenté Auschwitz dans les consciences, bénéficie d'une résonance durable, en raison notamment, de sa forte médiatisation et de l'abondante littérature historienne et romanesque, générées par le phénomène inouï de l'Holocauste, depuis celle des Camps, jusqu’aux "romans occupés" des dernières décennies. Une impressionnante filmographie jouant sur tous les registres depuis les années cinquante en entretient farouchement la mémoire à défaut du souvenir. Les massacres perpétrés en Algérie, au Rwanda, en ex Yougoslavie, en Tchétchénie pour ne citer que ceux de l’Histoire la plus récente, alimentent, quant à eux, le théâtre avec un effet retard, toujours en avance, cependant, sur l’Histoire officielle. Devant de tels faits, il ne peut plus être question d’éloignement ou de distance, notions objectivistes de l’art. Le second degré et l’ironie, père et mère du désengagement, derrière lesquels toute une génération d’intellectuels s’est abritée ne peuvent plus opérer.

Le siècle effroyable qui vient de s’achever, les menaces du pire qui pèsent sur celui qui se lève ne le permettent plus. Ce théâtre-là interroge surtout l’une des composantes de cette forme de guerre, au plus près de l'individu, dans son rapport étroit avec l’outrage fait aux corps : celui de l’homme "chair à canon", celui de la femme comme "champ de bataille" avec l’utilisation systématisée du viol. Entre 1992 et 1995, les guerres ethniques dans l'ex Yougoslavie en ont fait une véritable arme de guerre délibérément utilisée pour "nettoyer", en détruisant le noyau même de la cellule familiale et de la communauté, par l'atteinte au corps féminin. D’où l’image du corps sexué, transgressé, injurié et avili qu’on retrouve dans bien des pièces contemporaines : Du sexe de la femme comme champ de bataille de Matéi Visniec programmé deux fois dans le off. Là encore, viol, tortures, massacres n’ont pas été inventés par le XXème siècle mais il semblerait que le sexe soit devenu le siège (terme militaire d’occupation) de la torture physique et morale, de l’asservissement et de l’humiliation la plus déflagrante pour l’être humain, homme ou femme, avec une prédilection toutefois pour le corps féminin plus facile à investir (autre terme militaire suggérant la pénétration d’une place à assiéger).

Dès lors, on outrepasse le champ réglementé de la guerre pour celui, débridé des instincts, de la bestialité, sécrétant jouissance et mort jusqu’à les confondre, tels qu’ils apparaissent notamment dans Naître. Une autre composante, liée à la première comme la face cachée du crime est le phénomène de la disparition qui excède le simple fait de cesser d’être visible, pour celui de cesser d’être, corps présent, in presentia, ce qui condamne à traîner sa vie comme un fardeau à "haler", selon l’expression de Sartre, aussi bien pour la victime que pour le bourreau, confondus alors dans le même espace temps impossible à combler. Faute, crime, culpabilité y prennent alors indéfiniment la parole. Ces armes irrémédiables, non répertoriées dans l’arsenal guerrier légal touchent au plus près l’essence même de l’individu et mettent en scène la conscience au cœur de la diffusion du mal inoculé à la manière d’un contre-vaccin destiné à éliminer la vie devenue comme superflue. Face à la fabrique massive de cadavres vivants que produit le mal totalitaire et ses avatars modernes parmi lesquels la prolifération de l’image occupe la première place, le dramaturge qui écrit aujourd’hui sur des guerres sans nom, flirte toujours avec l’excès et la démesure.

Détruire le monde qui nous rend inhumains

Le Mal radical court encore et la langue essaye de le rattraper par les mots. Le théâtre de Bond les a placés dans la bouche des absents, qu’ils soient, corps présent (comme on dit lors des obsèques religieuses) mais absents à eux-mêmes ou disparus au cœur du drame absolu signifiant la permanence de l’auto destruction. la recherche de l'humain, recherche historique permettant de le replacer dans le monde. Ils reconnaissent au théâtre une responsabilité sociale et un moyen d'action dans et sur le monde. "Le théâtre doit prendre position" affirme Cormann. "J'écris des pièces qui critiquent la société" confirme Bond. Ce qui leur permet de revendiquer le concept d'idéologie (par ailleurs si souvent décrié, dénié, déguisé), en tant qu'ensemble d'idées philosophiques, sociales, politiques, morales, religieuses, au centre de leurs préoccupations et de leurs œuvres. En tant que "phénomène collectif, le théâtre est fortement idéologique" affirme justement l’universitaire Alain Viala. L’ancrage mémoriel et le retour en arrière aussi bien que la plongée dans un futur terrifiant, caractéristiques de bien des écritures théâtrales actuelles, expriment, par la régression, le rapport au monde de l’individu comme fondamentalement problématique. Retrouver la singularité de ce qui fait l'unicité de l'homme et l'affirmation de son identité est le but de ce théâtre.

Les dramaturgies de Bond sont toutes tendues vers l’intrusion du HAN (Hiroshima, Auschwitz, Nagasaki) pourfendeur de l’Histoire du XXème siècle avec sa grande Hache (pour filer la métaphore de Georges Pérec), dans sa dimension subversive et récurrente sur l’intime. Plus précisément, il analyse la perforation de la guerre dans des vies intimes bouleversées parfois jusqu’à l’absorption. "Il n’y a plus personne" constatait avec effroi le Béranger de Rhinocéros à la fin de la pièce de Ionesco. Demeurait la contagion du mal. C’est contre son atteinte galopante que le théâtre de Bond prend position avec les moyens extrêmes qu’on lui connaît, notamment visibles dans Naître, qui cet été a connu une hémorragie de spectateurs fuyant par vagues la Cour du Lycée Saint Joseph épouvantés par la reconstitution d’une réalité pourtant bien présente tous les soirs aux 20 heures télévisuels ! Toute guerre est d’abord une atteinte au corps identitaire individuel et collectif ; tout génocide est le crime absolu contre l’espèce, c’est ce que tente de montrer Bond et quelques autres.

Avec "l'écriture du désastre" propre à deux générations de dramaturges, entre dénonciation, débat et engagement, le théâtre s’est saisi, dans l'écriture et dans la représentation, de toutes les formes d’anéantissement, intime et collectif, en investissant, grâce à la parole agie, l'absence et la disparition C'est dans son acception d' atteinte quotidienne à l'espèce humaine qu'il faut comprendre la permanence de l'état de guerre de nos sociétés. C'est en tant que crime contre le genre humain et non restreint à la notion raciale généralement admise et réfutée, qu'il faut entendre le terme de génocide. L’objectif d’Edward Bond, est de promouvoir un théâtre « qui donne du corps aux idées » et dont le but est de « détruire le monde qui nous rend inhumains ». Sa profession de foi pourrait se résumer dans cette formule : « Tout ce qui n’agit pas dans ce sens consiste à écrire l’épitaphe de ceux qui ne sont pas encore nés. » . il faut l’entendre non comme une prophétie de mauvais augure mais comme un formidable appel capable de soulever la montagne humaine des consciences.

Liliane BOURICHE-LÉPINE (Avignon)

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