Freddy Viau est un discret... mais qui aime se faire entendre. Pour cela - et selon l'adage "tranquillement, mais sûrement" - il construit son projet artistique et écrit, met en scène, joue... Ce petit bonhomme venu de l'Aube a choisi la poésie, le théâtre, le mot, la danse, mais également le partage d'aventures et d'émotions avec la compagnie Parci Parlà, dont il est l'instigateur, et pour laquelle il est à la fois manager, locomotive, muse... Force tranquille, mais non sans doutes, ni questionnements, Freddy Viau gravit peu à peu son Everest, en marge des modes. Son Nirvana serait cette page si personnelle, sorte de scrapbook mêlant matières étranges, ombres dansantes et mots éphémères. Il met en scène Dard-Dard au Ciné Théâtre 13, après un coup de coeur de Sarah Lelouch - détentrice du lieu - pour cette pièce insecticide qui traite de l'injustice, de pouvoir, d'avidité.*
L'infiniment petit, transposer pour mieux rendre compte ? Absolument. Parler du monde d’ « en bas » est bien sûr une manière détournée de parler du monde d’ « en haut », de notre société humaine. Nous sommes avec Dard Dard dans le domaine de la comédie, et même de la comédie fantaisiste. Je voulais divertir, mais en construisant un univers un peu original, fantaisiste, décalé. J’ai eu l’idée des « insectes », de ce monde « microscomique».
J’ai toujours été fasciné par les insectes. Je viens de la campagne, j’ai donc toujours eu un rapport étroit et direct à la nature. Puis, j’ai fait des études de biologie (jusqu’en licence) à Reims, et j’ai notamment eu des cours d’entomologie (étude des insectes) qui m’ont fasciné. Je trouvais déjà lors de ces cours que l’univers de l’herbe était très théâtral (ou peut-être était-ce dû au talent des profs qui nous le racontait comme cela). C’est dans ces cours que j’ai appris combien l’étude des insectes a pu donner lieu à beaucoup d’inventions et d’applications scientifiques et techniques dans notre vie de tous les jours… Bref, l’univers des insectes m’a toujours inspiré. Et en plus il m’a permis de construire une métaphore d’un monde très organisé, très structuré, très hiérarchisé, de pouvoir aborder des thématiques comme celle du pouvoir, des laissés pour compte, de la relativité (monde d’en haut / monde d’en bas ; l’être humain se prend souvent pour un géant, mais nous ne sommes tellement rien par rapport à l’univers), la foi, la conviction religieuse, l’écologie, etc…
Plus je travaillais sur cet univers des insectes et plus je découvrais la richesse de thématiques et de problématiques de notre existence humaine. Bien sûr, je ne pouvais également que suivre les traces d’auteurs qui l’ont fait bien avant moi, et être nourri par les univers d’Esope, La Fontaine, les auteurs anonymes du « Roman de Renart » (que j’ai d’ailleurs mis en scène, le premier spectacle de la Compagnie Parciparlà, que nous jouons encore), etc…
Utiliser les insectes, c’est peut-être aussi une façon moins didactique, plus pudique de parler de mes questionnements existentiels, et ce qui, en tout cas, collait bien à un univers de comédie.
Jean Gillibert dit qu’un des rôles primordiaux du théâtre est de "déshabituer notre oeil du crime" afin que ce dernier paraisse moins "facile"... Est-ce la raison de l'écriture de Dard-Dard ? Je pense que ce n’était pas directement l’intention première de l’écriture de Dard Dard, même si je suis entièrement d’accord avec cette idée. Il y a beaucoup de crimes dans Dard Dard. C’est la thématique du pouvoir qui m’a fait glisser naturellement vers le traitement d’un certain nombre de meurtres, dans tous les sens du terme, symbolique ou littéral.
Enveia, le personnage principal, jeune abeille qui s’octroie plus ou moins la couronne du peuple des Aileux, et que nous voyons évoluer dans Dard Dard, est ambitieuse. Elle semble vouloir le pouvoir pour changer en mieux selon elle, cette société qu’elle-même semble subir. Elle trouve anormal que les insectes soient prédestinés, avant même d’être nés, à être toute leur vie, ouvriers, esclaves, ou à l’inverse dominateurs, profiteurs, esclavagistes… Elle semble vouloir défendre une certaine notion de mérite, ou en tout cas de plus grande équité. Mais une fois le pouvoir entre ses mains, elle a bien des difficultés à rester fidèle à ses principes. Ou en tout cas, elle les fait évoluer avec elle, en égoïste qu’elle est, comme nous tous. La pièce aborde le pouvoir sous toutes ses formes, et le crime en est une des nombreuses facettes. Prendre le droit de mort sur quelqu’un est bien l’ultime abus de pouvoir.
Tout cela évidemment, je tiens à le rappeler, en restant dans le domaine de la comédie, du dérisoire, je pose des questions mais qui restent sous-jacentes à l’intrigue. L’idée est de surtout prendre un peu de distance. Et par exemple la mise en scène des meurtres de Dard Dard va dans ce sens. Je voulais des meurtres, mais ne pas être encombré par le réalisme des cadavres. Donc, les personnages assassinés, une fois morts, se relèvent, et sortent sur leurs deux pieds. C’est au bout du compte, encore plus fort, encore plus questionnant…
Vous utilisez la danse contemporaine pour évoquer l'horreur de la guerre - moment très émouvant -, cela vous arrive-t-il souvent de mélanger les genres ? Oui, alors cela, j’adore. Et je pense que c’est l’avenir du théâtre. Il faut que les arts se nourrissent les uns des autres. Et c’était une envie dès le début de l’écriture de Dard Dard de pouvoir me permettre des ruptures de ton, des ruptures de forme dans la pièce. De trouver une grande liberté là-dedans en même temps qu’une grande cohérence.
La structure de Dard Dard est assez épique, avec des références au théâtre brechtien, il y a beaucoup de péripéties. La Reine à un moment, décide de partir en guerre. Et comme pour le reste, je voulais m’éloigner d’un réalisme documentaire, donc j’ai pensé à le coder, en m’inspirant de la danse contemporaine (je suis très sensible à cet art). C’est un moment singulier, en suspens dans Dard Dard. Nous avons travaillé avec Eric Choquet, un chorégraphe champenois de danse contemporaine. Et comme nous sommes des comédiens et non des danseurs, l’objectif n’était pas de faire des performances, mais de raconter autrement ce passage de l’histoire. De chercher un code, de faire naître l’émotion, l’effroi de la guerre, avec nos corps, nos visages. La bande-son, composée par Régis Delbroucq est évidemment importante et a guidé notre travail sur divers moments du spectacle, et notamment celui-là.
Il y a d’autres moments dans Dard Dard qui partent aussi dans des directions variées. Il y a par exemple des chansons qui racontent certains passages de l’histoire. Il y a aussi un autre moment de danse, chorégraphié par Alexandra Antoine, plus music-hall, plus festif. Tout cela contribue à faire de Dard Dard un objet théâtral assez singulier.
Jean Guidoni qui s'intéresse aux plantes vertes, c'est un heureux hasard, non ? Je suis un grand admirateur de Jean Guidoni, dont j’ai découvert l’univers il y a une dizaine d’années. C’est un très grand artiste. Très original. Qui construit vaillamment d’album en album une œuvre riche, variée, surprenante. Il est intègre, cherche sans cesse à se renouveler. J’ai eu la chance de le rencontrer. Je lui ai proposé de venir faire une voix off dans Dard Dard. Il a accepté d’incarner Frelonus, le roi des Aileux, qui sauve son peuple d’une mort inéluctable par insecticide dans la prairie, en le guidant vers la pelouse d’un square parisien. Terre préservée. L’histoire de la pièce démarre aux funérailles de ce roi Frelonus, mais il est présent vocalement tout au long de la pièce, comme un fantôme qui surveille son peuple de loin.
Jean Guidoni est ainsi notre Roi. Jean Guidoni a un côté comédien évident, il est un chanteur qui interprète beaucoup ses chansons sur scène. Je m’étonne qu’on ne lui ait pas proposé plus de choses dans le domaine de la comédie. Je suis sûr qu’il adorerait cela. Et d’ailleurs, j’adorerais pouvoir le mettre en scène un jour ou l’autre… Son prochain album autour de textes de Prévert (dont je crois certains, inédits) sort en octobre prochain, suivi d’un spectacle. J’incite tout le monde à le découvrir. Le dernier « La Pointe Rouge » est également un petit bijou…
Les femmes ont une place maîtresse dans la pièce et dans tous les sens du terme... Bon jeu de mots. En effet, Enveia, le personnage principal, incarné « royalement » par Marie-Béatrice Dardenne, est la maîtresse du Roi défunt. Le personnage central de Dard Dard est féminin… peut-être inconsciemment ai-je trouvé cela plus intéressant pour le cheminement dramaturgique. Car le rapport d’une femme au pouvoir a peut-être été un peu moins traité. Il est aussi peut-être plus ambigu, plus complexe, plus humain, plus questionnant, et malheureusement encore moins habituel… Il y a d’autres personnages féminins aussi dans Dard Dard …
La jeune abeille boîteuse, Patte Folle ; la mante religieuse, Lapiosa; Grâce la libellule, MariAnnick le Moustique, Gervaise la Punaise… Elles ont des caractères variés, elles sont vraiment différentes… J’ai de toute façon globalement essayé, que ce soit pour les comédiens ou pour les comédiennes, que tous les personnages même secondaires aient une certaine densité, que tout le monde ait quelqu’un chose à jouer. Ca a été un peu casse-tête pour la construction de l’intrigue, car il y a 7 comédiens sur le spectacle, mais je crois que c’est assez réussi, c’est assez équilibré…
Dans vos projets se côtoient l'esprit bon enfant - que les critiques ont associé à celui du Splendid - mais également celui plus mystérieux et un peu noir de Shakespeare... Farfadets, esprits malins et magiques sont-ils de mise dans la région de l'Aube dont vous venez ? Je ne sais pas si les forêts auboises et notamment chaourçoises (puisque je viens de la région de Chaource) sont habitées par les lutins… mais en tout cas, la ruralité fait partie de moi. Mes premières pièces ont pour cadre la campagne. Il y a forcément dans mon univers des liens avec l’Aube. Ma nature pudique, un peu secrète. Peut-être un côté plus instinctif aussi. Plus concret. En caricaturant, à la campagne, on ne parle que lorsque l’on a quelque chose à dire. Je suis un peu comme ça dans l’écriture. Je dois ressentir le besoin d’avoir quelque chose à dire pour me mettre à écrire. Je ne peux pas coucher des mots sur le papier sans me soucier du sens à leur donner. Du pourquoi. J’ai besoin d’avoir envie de porter une parole, même discrètement.
Quand aux références que vous citez, Shakespeare, et le Splendid, oui, ce sont des univers qui peuvent sembler très éloignés, mais l’un comme l’autre, ils me nourrissent, se complètent, m’ont construit en tant qu’artiste. J’aime le sens de la comédie, la générosité, l’esprit de troupe de l’équipe du Splendid. J’aime la richesse, la complexité, la densité, la beauté du langage de Shakespeare, et l’audace des intrigues, de la construction de ses pièces. C’est important, je trouve, d’aller explorer des univers très variés, pour l’écriture dramatique.
Quels sont vos projets avec la Compagnie Parciparlà, et en dehors de cette équipe ? Avec les Parciparlà, nous avons quelques dates de Dard Dard en tournée sur le premier trimestre 2009, peut-être une reprise dans un autre lieu et Avignon 2009. Nous allons également reprendre à Paris, au Théâtre de l’Essaïon, à partir du 8 octobre l’un de nos 2 spectacles Jeune Public, le Roman de Renart (dont nous avons déjà fait près de 900 représentations). Nous réfléchirons ensuite à une nouvelle création, peut-être pour le printemps prochain.
J’aimerais beaucoup prendre le temps également de plancher sur une adaptation audiovisuelle de Dard Dard. Je pense que l’univers est riche et pourrait se décliner sur un format court. La Compagnie a un site internet www.compagnieparciparla.com, avec toutes les infos sur notre actualité.
En parallèle de la Compagnie, je mets en scène « 24h de la vie d’une femme » de Stefan Zweig avec deux comédiennes pour le Théâtre de l’Essaïon du 26 août au 6 novembre 2008 les mardis, mercredis, jeudis à 20 h. Une atmosphère différente de Dard Dard, plus dramatique, mais qui m’intéresse beaucoup. Un spectacle plus intimiste, qui je pense, va réserver de beaux moments d’émotion comme je les aime….
Propos recueillis par Marie-Pierre FERRÉ
* Voir la
critique de Franck Bortelle du 09/04/2008
Dard Dard, mis en scène par Freddy Viau
Avec Marie-Béatrice Dardenne, Angélique Fridblatt, Laetitia Richard, Regis Chaussard, David Dos Santos, Regis Romele, Freddy Viau.
Avec la voix de Jean Guidoni.
Jusqu'au 23 août 2008
Du mardi au vendredi à 20 h - Le samedi à 17 h et 20 h
Durée : 85 minutes
Tarif : 14 € au lieu de 22 € ( placement libre assis )
CINE-THEATRE 13
Le Cinéma du Moulin de la Galette
1, avenue Junot – 75018 Paris
Tél : 01 42 54 15 12