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Mois AprÈS Mois

Festival d'Avignon

18 juillet 2003 5 18 /07 /juillet /2003 14:22
MANÈGE FATAL

Trois personnages. Klara, Zsusza et Joska. Dans la même tenue bleue marine, coupe treillis, genouillères et rangers. Ils font le ménage. Des militaires ? Pas vraiment. Et pourtant.

Les détours empruntés par le Hongrois Peter Nadas, lauréat du Prix Franz Kafka en 2003, pour son « œuvre marquée par l’humanisme et la tolérance » nous renseignent assez, avec ce texte écrit dans les années 80, sur ce que furent le contexte politique et la censure de l’époque communiste. Nadas brosse l’obsession d’un monde dominé par l’ordre, qui permet à la rupophobe Zsusza de deviner en fonction de l’état de propreté d’une maison comment sont les gens « à l’intérieur ». Il rend terrible la dictature du rutilant par le rituel synchronisé et saccadé du ménage, conçu comme une chorégraphie de balais nous plongeant dans un Fantasia humain. C’est une parodie de l’ordre parfait qui ne souffre aucun grain de poussière, fait avorter les rêves, karchérise les différences et conduit à la prison mentale.

La symbolique du ménage et de l’eau saute aux yeux au-delà du politique pour nous parler de la souffrance humaine. Chacun parle sans vraiment s’adresser aux autres, comme un soliloque face au miroir ou au psy. Chacun agite ses peurs enfouies, avec la fureur d’un vieux torchon, comme un appel à l’aide, déverse des seaux de larmes, tente de purifier son âme. Chacun expose à la cruauté des autres ses souvenirs, ses souffrances, ses exaspérations, ses angoisses, ses rêves, ses amours espérés ou déçus. Les personnages se déversent, surnagent, jouent à se faire du mal, à casser, à affaiblir, à culpabiliser, à essorer l’autre, comme dans un manège infernal, qui tourne à plein régime, sans possibilité de sauter en marche, de plus en plus vite, machinerie perverse dont l’issue sera fatale, pour couler enfin.

Cette tension croissante est remarquablement servie par la très propre mise en scène de Carole Lorang, qui nous fait accéder subtilement à cet univers entre violence psychologique et surréalisme déroutant. Le trio est épatant d’énergie avec une Zsuzsa particulièrement brillante, interprétée par Bach-Lan Lebathi, qui dès les premières mesures de ce ballet tragique, nous entraîne avec ses comparses, dans la dureté et l’absurde, dans la poésie et l’imaginaire.

Stephen BUNARD

Ménage, de : Peter Nadas
Adaptation française: Ibolya Virag et Jean-Pierre Thibaudat
Mise en scène : Carole Lorang Dramaturgie : Mani Muller Distribution : Marja-Leena Junker, Bach-Lan Lêbathi, Stéphane Moureaux, Luc Schiltz. Lieu : Théâtre des Halles, Avignon.
Horaire : 21h - Durée : 1h25 Création Saison
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18 juillet 2003 5 18 /07 /juillet /2003 14:01
"QU'EST-CE QUE J' PEUX FAIRE ? J' SAIS PAS QUOI FAIRE !"

Ionesco définit Les Chaises comme une « farce métaphysique pour un jeune homme et une jeune fille à la dérive, cent onze chaises et un clochard qui passait par là ». Alain Timar, de son côté, dit de la pièce : « Lui vingt ans, elle vingt ans aussi : ils auraient pu s’aimer d’un amour tendre et aveugle, mais la fureur couve en eux. Désoeuvrés, désenchantés par une époque et des adultes en proie à la barbarie, ils savent déjà qu’il ne reste plus grand chose de l’autre côté de la route, de la ville, de la mer, plus grand chose de l’autre côté de leurs rêves. »

Spectacle repris en version américaine en hiver 2005  - Théâtre des Halles

C’est stupéfiant de constater à quel point on pourrait faire coïncider ces deux citations à la situation actuelle. Rappelez-vous, Anna Karina nous prévenait déjà, dans Pierrot le Fou : « Qu’est-ce que j’peux faire ? J’sais pas quoi faire ! » Seule solution à cet ennui et ce mal de vivre : faire de sa vie un spectacle, délirer son existence, mettre son imagination en insurrection permanente, faire sauter le caisson des apparences. Jusqu’à la mort, peut-être…

Disons le tout net : c’est le plus beau travail d’Alain Timar que j’aie jamais vu. La précision des déplacements, les gestes, les voix, les regards, les éléments du décor, l’excellente interprétation survitaminée de Nicolas Senty et Marie-Charlotte Biais, tout nous tétanise. La stupéfiante image finale nous rive à notre fauteuil. Nous sortons des Halles lavés de rire, rincés de poésie, essorés de théâtre. Prêts à la lutte ?

Vincent CAMBIER

Les Chaises, d’Eugène Ionesco. Mis en scène par Alain Timar. Compagnie Alain Timar, 4, rue Noël-Biret Avignon

Contact, Laurette Paume : 04 90 85 52 57 Avec Nicolas Senty et Marie-Charlotte Biais. Scénographie : Alain Timar. Construction du décor : Marc Foury, Valérie Foury et André Quinto. Costumes : Anna Chaulet. Création et régie lumière : Valérie Foury. Montage et régie son : Benjamin Chabas. Théâtre des Halles, 4, rue Noël-Biret à 11 heures (1 h 30). Relâche : 20 juillet. Tél. 04 32 76 24 51. Tarifs : 18 € / 12,5 €.
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17 juillet 2003 4 17 /07 /juillet /2003 14:34
PETITES CRUAUTÉS EN FRATRIE

« Aucun de nous n’est normal dans cette famille, faut vivre avec. » Le ton est donné dès les premières minutes par Catherine, l’aînée d’une famille canadienne de quatre enfants, abandonnés par leur mère vingt ans auparavant. Chacun mène son bout de chemin dans le traumatisme de l’absence, chacun a sa façon de combler le vide.
 Arnaud Allain et Élodie Saos - Les Muses orphelines © DR

Catherine enseigne, fait office de mère de substitution et refoule l’émotionnel. Luc, écorché vif, à la masculinité perturbée dans cet aréopage de femmes où les rôles sont confus, se rêve écrivain et se travestit en sa propre mère. Isabelle, la cadette, prise avec tendresse pour la gourde de service, cristallise le besoin de maternité de tous. Là, sonne l’heure des retrouvailles avec le retour de Martine, militaire lesbienne partie pour l’Allemagne. Elle revient sur un énorme mensonge. Et ce ne sera pas le dernier dans cette fratrie de torturés qui jouent à chercher leur identité et règlent leurs comptes avec leur génitrice. Chacun se sert des autres, souvent par de malsains jeux de rôles, pour l’atteindre elle, pour s’atteindre eux-mêmes. Tous la cherchent. Tous la fuient. Tous la maudissent. Tous la désirent.

Quand on annonce l’arrivée le lendemain de la mère prodigue, les tensions s’exacerbent, les rancoeurs dégueulent et les émotions jouent à cache-cache. « On se déchire entre nous et au-dedans de nous », lâche Martine. L’amour surmontera-t-il les tourments individuels et ces petites cruautés fraternelles ?

L’auteur québécois Marc Michel Bouchard nous renvoie à la face ces incessants questionnements que nous avons tous sur notre rapport à la famille : accepter le passé et nous libérer de ce qui pèse, tracer le chemin de notre propre vie, prendre conscience de notre rôle dans le théâtre familial… Ecrite en 1988, la pièce comporte également un fond contemporain : l’émancipation de la femme, qui trompe, qui abandonne ses enfants, qui bouffe la vie à belles dents, et le regard des autres, incarné par le reste du village.

L’interprétation et la mise en scène nous restituent l’intimité, l’oppression et les désordres psychologiques, sans larmoiements, sans impudeurs, sans artifice. Un bémol : difficile de s’accommoder de l’exiguïté du lieu, qui étrique le propos et l’expression corporelle de ces jeunes talentueux comédiens. Un détail. Car notre quatuor de Muses était ce jour-là particulièrement bien inspiré.

Stephen BUNARD

Lire aussi la critique de Vincent CAMBIER.

Les Muses orphelines
Cie Sousouli
Comédie dramatique de : Marc Michel Bouchard
Adaptation française: Noëlle Renaude
Mise en scène : Shelly de Vito
Distribution : Arnaud Allain, Marie-Do Ferré, Laetitia Tomassi, Elodie Saos.
Lieu : Théâtre Alibi, Avignon. Rue des Teinturiers. Horaire : 18h - Durée : 1h20
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15 juillet 2003 2 15 /07 /juillet /2003 15:17
He has a dream ! – 20/07

Il est Américain, il a fréquenté l’institut de théâtre Suskin en Russie pour se former à la scène. Il joue, seul, et dans la langue de Molière, qu’il a apprise il y a dix ans de cela, Mozart et Salieri au Collège de la Salle tous les soirs à 22h45. Severin est un jeune comédien, citoyen du monde, plein de fraîcheur, sourire et gracilité d’ange blond, qui ne sait même pas ce qu’il va faire après Avignon. Sans tracter, sans affichage, uniquement aidé par sa famille auprès de laquelle il s’est beaucoup endetté et par son amie russe, qui l’accompagne dans son aventure avignonnaise. Il réalise son rêve, jouer, ici, dans ce festival pour amoureux du théâtre. Un rêve qu’il réalise, pour lui et pour le plaisir des 14 spectateurs de la représentation d’hier soir. Un record, qui le rend enthousiaste. A méditer autant pour ceux qui mégotent leur aide à la culture, que pour ceux qui ne comptent que sur elle. Chapeau bas, Severin !

Chefs d’œuvres au noir – 16/07

Au Collège de la Salle, ne manquez pas d’aller voir au moins l’un des spectacles proposés par LA MAISON DU NOIR. Voir… si l’on peut dire, puisque leur liant est de nous plonger dans une obscurité totale pour nous apprendre à découvrir ou découvrir autrement les sons, les mots, les sensations… Une réflexion également sur le handicap, pour une fois envisagé sous un angle esthétique et intelligent pour nous rendre les autres et la « différence » davantage intelligibles. MELANO, TAUPE MODELE : un parcours « découverte » plein de douceurs pour les 6-9 ans, à 10h30 (50 mn) CAFE NOIR : le spectateur explore son proche environnement et cherche des objets et leur complément dans le noir (un succès des NUITS BLANCHES 2002 à Paris), à 23h (50 mn) COLLIN-MAILLARD : Un spectacle les yeux bandés où les acteurs jouent eux-mêmes dans l’obscurité à 20h (1h40) ENVOL : allongez vous sur un transat et laissez votre esprit errer au gré des sons et des images mentales, à 16h (50 mn) Renseignements : 04 90 27 93 64

ZO ZO– 16/07

ZO pour Zapping Off. Vous ne savez pas qu’il existe un millier de moyens pour vous informer sur les spectacles du Off, vous êtes un peu sauvage et ne parlez pas du festival autour de vous, vous êtes abonné au Reader Digest ? Alors ZO est fait pour vous. Cette scène ouverte du Off présente en 50 minutes 10 extraits de pièces, tous les soirs à 23h au Théâtre des Béliers. Ah, autre chose : vous avez 7 euros de trop dans votre poche ? Courrez-y. Pour une fois qu’on ne fait pas payer les compagnies… Et puis ce serait dommage de se priver d’aller voir des extraits de spectacles que, sans cela, on ne serait pas forcément allés voir… Renseignements : 06 63 88 32 53

Du « pipole » dans le Off – 15/07

Chaque année, le Off accueille des vedettes du théâtre, du cinéma et de la télévision. Certains lieux en ont même fait une spécialité. Ainsi, Le Chêne Noir, Le Grenier à sel, le Petit Chien ou Le Chien qui fume ont-ils vu passer ces dernières éditions, les Bohringer (père et fille), Annie Girardot, Rufus, Jean-Paul Drouot (alias Thierry la Fronde), Bernadette Laffont etc. Une tendance que certains comédiens du Off ne voient pas forcément d’un très bon œil, souffrant d’une concurrence où les spectateurs n’auraient les yeux de Chimène que pour les stars qu’ils peuvent plus facilement approcher que sur les scènes nationales. Cette année, notons la présence de Claude Brosset dans LES ENFANTS DE JULIEN au Théâtre des Amants, Marianne James (la diva de l’Ultima récital) en concert au Théâtre le Petit Louvre, Majax dans THE GREAT ZOLTAN, Guy Pierauld (doublure formidable des dessins animés de notre enfance) dans HIER SERA UN AUTRE JOUR au Chien qui fume. Gustave Parking est encore présent cette année dans son magnifique ébouriffant spectacle. Enfin, signalons la présence de personnalités moins célèbres mais réputées pour leur talent, tels Jean-Daniel Laval, directeur du Théâtre Montansier de Versailles dans L’ART D’AIMER et Jean-Marie Cornille, l’un des fondateurs de l’improvisation en France, dans CONQUISTADORES. Pour tous ces spectacles, pensez à réserver.

Pilateries – 13/07

La journée a été longue mais il vous reste un peu de force ? Allez vous détendre aux Trois Pilats. Ce théâtre permanent, situé à deux pas de la place des Carmes, accueille, tout au long de l’année, tous les jeudis, un café littéraire, poétique ou politique selon les associations invitées, et, pendant le festival, en fin de soirée diverses formes de spectacles vivants : musique ou théâtre, il y en a pour tous les goûts. Il peut s’agir de sketches, d’extraits de spectacles, de saynètes, de lectures, de cabaret ou de chansons. Le lieu, dotée d’une jauge de 40 places, revendique sa portée politique en s’ouvrant aux compagnies qui ont peu de ressources. Exemple de spectacles donnés lors de ces fameuses « Pilateries » : Un jour au fond des mers, je prendrai mes vacances, d’après Dimey, le 17/07, Faut-il croire les mimes sur parole ?, les 19 et 20/07, Chants d’Haïti, le 18 et le 28/07. Les Trois Pilats est dirigé par Pascal Papini, directeur du conservatoire de théâtre d’Avignon. Entrée libre tous les soirs à 23h30. Rémunération « au chapeau ». Renseignements : 04 90 85 67 74

Bilan du Festival 2002 – 11/07

721 spectacles, 602 compagnies, 132 lieux 14 421 représentations, 441 auteurs dont 317 vivants 2 286 comédiens, danseurs et musiciens 1 319 professionnels et 325 journalistes accrédités Nombre de spectateurs : 650 000 Adhérents carte Off : 30 766 Prix d’une place : entre 6 et 13 euros
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12 juillet 2003 6 12 /07 /juillet /2003 13:17
UN DIVAN POUR DEUX

Que faire lorsqu’on est un roi infantile et fantoche, flanqué d’un ministre conseiller, tantôt coach, tantôt fou du roi, et que, dans le désert de cette absurde relation, l’on s’emmerde ferme ? « Qu’est-ce qu’on pourrait inventer ? », s’interrogent nos sinistres sires, que l’on plaint dès les premiers instants. Bouger le lit de place, arroser Fifi la plante, jouer des personnages de comédie ou partir en voyage, loin, très loin ?

Dans cette longue attente de l’indescriptible, nous nous interrogeons aussi : ont-ils ces deux-là réellement le pouvoir ou sont-ils en prison ? Le parti pris de la mise en scène sobre et fouillée de Fabrice Lebert est de montrer deux personnages qui crient d’humanité, dans toute la vérité de leur pitoyable nature. Architruc le roi et Baga son ministre, nous font bougrement penser à Vladimir et Estragon dans En attendant Godot chez Beckett. Une version côté nantis, où le burlesque le cèderait au désenchantement et qui dépeindrait avec une aussi cruelle justesse les tourments existentiels, le temps qui passe et la vieillesse qui, sans unité de temps, sournoisement s’installe.

Certes, la pièce décrit le drame du pouvoir, ses responsabilités et ses irresponsables, car comme soupire Baga, « depuis le temps qu’on a rien fait, même pas une petite guerre, on se rouille . » Mais c’est aussi une formidable relation de couple entre deux névrotiques, l’un se sert de l’autre pour régler sa relation au père, « j’ai envie de te parler de mon enfance », supplie le roi enfant. Avide d’être aimé, Architruc a une conscience de substitution, celle distillée par son ministre via un grammophone et il n’arrive pas plus à atteindre sa couronne, accrochée à un élément de la pièce, qu’un enfant n’y parviendrait avec un pot de confiture. L’autre, Baga, sombre peu à peu dans la douce folie de ses frustrations cuites et recuites.

Xavier Chevereau campe avec sincérité un Architruc hébété et attendrissant, roi sans divertissement, aboulique et extrêmement fragile, conscient même de ses manquements à honorer un « trône imm-hérité ». Cédric Zimmerlin endosse en Baga plusieurs rôles qui attestent de la largeur de gamme de ses talents, reflétant les errances d’un être usé, comme les ambitions toujours tapies d’un homme de l’ombre, toujours prêt à se déguiser en Dieu. Beckett disait de l’auteur : « Pinget, c’est de l’orfèvrerie ». Alors Fabrice Lebert, metteur en scène avignonnais de 26 ans et ses deux excellents jeunes comédiens, tous passés par l’ENSATT, sont de ce précieux artisan les dignes apprentis.

Stephen BUNARD

Architruc, de : Robert Pinget Mise en scène : Fabrice Lebert Distribution : Xavier Chevereau, Cédric Zimmerlin, Fabrice Lebert. Lieu : Théâtre Tremplin, Avignon. Horaire : 14h - Durée : 0h55 Création Avignon
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12 juillet 2003 6 12 /07 /juillet /2003 13:07
LE RÉVEILLE-MATIN DE NOS CONSCIENCES

On se croirait chez Buzzati, celui du Désert des Tartares, ou dans la chanson de Jacques Brel, celle du « fort de Belonzio qui domine la plaine d’où l’ennemi viendra, qui me fera héros »… Au trou du cul du monde, un fortin barricadé. Depuis longtemps, trop longtemps, cinq combattants attendent l’ennemi. Olan, Télem, Ydlaf, Gurban et Hilal attendent. Attendent. Ça devient insupportable. La souffrance affleure.


Le jeune Philippe Beheydt a une vision très mature de la nature humaine. Il traque nos bassesses, ôte les masques, fouille les recoins, débusque les planques de nos coeurs. Il gratte là où ça purule, et profite de cet espace théâtral qu’il a intelligemment construit, parole après parole, pour faire sortir le pus. Il décrit le monde tel qu’il hait, mais il met au jour nos beautés aussi. Pour les heures noires où on n’y croit plus. Le tout dans les feulements et les rugissements d’une langue rugueuse, jouissivement dramatique. La mise en scène fluide, efficace, « évidente » est en parfaite adéquation avec le propos.

Mais l’autre grand intérêt de Sentinelle, c’est la troupe de jeunes et beaux comédiens. Ils apportent une incroyable fraîcheur à des rôles âpres, râpeux, violents. Sylvia Bruyant module une Télem forte en gueule pour mieux masquer sa fragilité de petite fille fracassée. Hervé Cornu incarne Olan, son presque alter ego masculin, à la belle virilité bafouée, crucifié par tant d’amour emmuré. Vincent Dos Reis nous partage Gurvan, petit frère du Lenny de Des souris et des hommes, du brouillard dans la tête, au coeur aussi gros que sa carcasse, déchirant dans son affection maternelle mutilée. Claire Grimbert nous attire vers Hilal, petit oiseau blessé tombé du nid, perdu dans ce monde impitoyable. Joseph Lullien, le plus surprenant peut-être, le plus impressionnant sans doute, nous impose Ydlaf, roc cristallisé par un secret insondable, mais rempart d’empathie et d’amour, sentinelle de nos haines, réveille-matin de nos consciences. Bref, un texte et des comédiens qu’on a plaisir à prendre en pleine poire. C’est ça le théâtre vivant, c’est exactement ça.

Vincent CAMBIER

Sentinelle, écrit et mis en scène par Philippe Beheydt.
Compagnie Cavalcade - Tél. 06 10 65 65 50. Assistante à la mise en scène : Marine Molard. Création costumes : Anne Blanchard. Réalisation des décors : Nicolas Lullien. Créateur lumières : Marc Cixous. La Manufacture, 2, rue des Écoles à 16 h 45 (1 h 20). Tél. 04 90 85 12 71. Tarifs : 13 € / 9 €.
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Chronique FraÎChe