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Festival d'Avignon

24 avril 2006 1 24 /04 /avril /2006 23:30
Picasso : peintre ou dramaturge ? La question peut surprendre car si l’artiste est mondialement célèbre pour sa peinture, sa production littéraire reste peu ou mal connue.

Pourtant cette œuvre littéraire est riche de mots car le peintre a écrit de nombreux poèmes ainsi que deux pièces de théâtre Le Désir attrapé par la queue et Les Quatre petites Filles. Pourquoi ces deux pièces n’ont-elles pas survécu à la postérité ? Peut-être parce qu’elles ne le méritent pas. Peut-être aussi que les domaines artistiques en France sont trop fragmentés. Ou peut-être qu’à l’image de sa peinture, l’œuvre littéraire de Picasso fut trop moderne, trop en avance sur son temps.

Le peintre s’est toujours intéressé à la littérature. Toute sa vie, il s’entoura d’écrivains réunissant Guillaume Apollinaire, Max Jacob, Jean Cocteau ou André Breton. Picasso a presque cinquante-quatre ans quand il plonge dans l’écriture. Elle est pour lui le complément indissociable de la peinture, dit ce que l’image ne peut pas dire.

Le Désir attrapé par la queue
, écrite en 1941, est une oeuvre « sans queue ni tête » au cours de laquelle dix personnages qui n’ont rien à se dire se parlent volubilement. Alors que Les Quatre petites Filles est un long poème dramatique, mis en images en 1948, et dont la partition a été arbitrairement distribuée par l’auteur entre quatre personnages. L’action se situe dans un jardin potager de rêve où s’ébattent des adolescentes, hantées par des apparitions fantastiques.

Picasso semble se moquer de la syntaxe. Son écriture relève de l’écriture automatique, faisant abstraction de toute ponctuation. Par exemple, il peint, à l’aide d’une plume libérée de toute contrainte, un décor hispanique et se laisse aller aux souvenirs de son enfance : « le bleu dirige la pointe de son manteau bleuté azuréal indigo cobalt bleu ciel prune sur le bras étendu du jaune citron vert amande et pistache cerclant le mauve lilas frappé de deux poings par le vert de l’orange et la nappe à raies bleu roi et bleu pervenche. »

Un théâtre du n’importe quoi

Mais faut-il à tout prix chercher à comprendre le sens de ces deux pièces ? A mon avis, il faut plutôt les sentir, les vivre et les lire, pourquoi pas en public, puisqu’il est évident qu’elles sont difficilement jouables. Picasso toujours juvénile, s’est amusé à inventer, à la suite des dadaïstes et des surréalistes, le théâtre du n’importe quoi. Grâce à un « gag », à la fin du quatrième acte du Désir, Picasso note qu’il y a aura « un grand silence de quelques minutes, pendant lesquels dans le trou du souffleur (…) on sentira frire dans l’huile bouillante des pommes de terre ; et de plus en plus la fumée des frites remplira la salle jusqu’à l’étouffement complet ! » Par là, il annonce la destruction du théâtre en tant qu’art figé. Ainsi l’humour n’est pas le seul moteur de création ; Picasso tient également à remettre en question les modalités théâtrales de son temps. Dans ses œuvres il y a une constante, que le théâtre contemporain se vante parfois d’avoir inventé, le silence. A cet égard, il est remarquable que dans les deux pièces de théâtre, les répliques soient troublées une douzaine de fois par une image poétique tournant autour du silence. Dans le Désir, l’un des personnages s’appelle précisément Le Silence et sa première intervention reste essentielle : « Voulez-vous vous taire », demande-t-il aux autres protagonistes.

Une liberté d'expression totale

Par ailleurs on notera que, dans Les Quatre petites Filles, les personnages n’ont pas réellement de nom. Elles s’appellent toutes « Petite Fille » et sont seulement différenciées par un chiffre, comme si elles ne formaient qu’une. La psychologie des personnages n’a aucune importance, comme les portraits qui sont volontairement omis, annonçant un théâtre moderne. Depuis le théâtre a évolué et grandi sans Picasso. Mais il me semble que son œuvre théâtrale est tombée dans l’oubli à tort et qu’il faudrait davantage la considérer comme annonciatrice, au même titre que la littérature dadaïste et surréaliste. Toutefois, la poésie de Picasso a pu séduire, tout en dérangeant écrivains et poètes, car elle lui autorise ce que leur art ne permet pas : la totale liberté d’expression, la jungle des mots.

Picasso est donc un dramaturge à part entière. Mais faut-il vraiment choisir un camp ? Le portrait qui se dessine correspondrait d’avantage à un artiste complet, naviguant entre les mots et les images.
« Et moi aussi je suis peintre », proclamait Apollinaire en marge de Calligrammes. Ce qui rejoint la situation de Picasso qui aurait pu dire « Et moi aussi je suis poète ». D’autant qu’il aurait déclaré, se risquant à bouleverser les habitudes intellectuelles françaises, « Au fond, je crois que je suis un poète qui a mal tourné. »

Julie MIRAUCOURT (Dijon)
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