Rencontre avec l'humoriste pour son nouveau spectacle : Anne a 20 ans ! Et forcément cela se fête. 20 ans de carrière et 20 ans de succès, cela fait bien 40, l’âge d’Anne Roumanoff. Le compte est bon aujourd’hui pour cette pionnière du One Woman Show qui n’en finit pas de se réinventer en scène. 40 ans, c’est aussi le moment de faire le point sur une carrière bien remplie. Preuve qu’elle a de l’endurance, Anne Roumanoff s’installe au théâtre des Bouffes Parisiens pour six mois ! Sacrée performance qui nous donne l'envie d'une rencontre avec la dame en rouge.En préambule
On retrouve Anne Roumanoff sur les toits d’un hôtel Parisien du quartier Montmartre. Elle l’a choisi parce qu’elle habite tout près. C’est plus simple et la simplicité est d’évidence une des caractéristiques d’Anne Roumanoff. Elle vous accueille d’emblée, sans aucune ostentation, vous propose un verre, vous prête un stylo. Elle semble en prise immédiate avec l’exercice de l’interview qui se déroule comme une conversation banale. Pour autant, elle n’est pas familière, ne cherche pas à séduire et reste toujours dans son rôle d’observatrice même lorsqu’elle répond aux questions, sans passion, mais sans retenue. On aurait envie d’approcher cette part d’ombre dont on gratifie, peut-être trop facilement, les artistes parce qu’on imagine qu’elle les pousse vers la lumière. Mais chez Anne Roumanoff, tout semble clair. Elle paraît tellement ancrée dans le réel qu’on a du mal à l’imaginer multiple et déjantée comme elle s’affiche pourtant follement depuis vingt ans en jouant toutes sortes de personnages sur les routes de France et du Québec.
Car Anne Roumanoff a déjà vingt ans de carrière derrière elle. Elle s’est lancée sur les planches en 1987. La jeune fille s’était alors fait recalée à tous les concours des grandes écoles théâtrales, dont le Conservatoire national. Elle regrette encore aujourd’hui de ne pas l’avoir tenté une deuxième fois. Le succès de son premier One Woman Show l’en a empêchée, l’écartant définitivement de toutes les académismes. Anne Roumanoff dit avoir mis du temps à comprendre que ces échecs aux concours ont finalement été une chance. Celle de tracer son propre chemin et de s’y rencontrer. Elle s’est taillée son costume d’actrice sur mesure et aujourd’hui, à quarante ans, elle se réjouit, avec le public, qu’il lui aille si bien.
La rencontre
L'actrice à la quarantaine pragmatique commence son nouveau spectacle en se moquant d’elle-même.
« Il m’est arrivé un truc auquel je ne m’attendais pas du tout, j’ai eu quarante ans, mon mec m’a dit : t’inquiète pas Anne, tu les fais pas, tu fais 38 ».
Agnès Grossmann : Quel effet cela vous fait-il d’avoir quarante ans ?
Anne Roumanoff : Ah, quarante ans, cela a été un grand choc. Cela m’angoissait beaucoup, mais maintenant que j’y suis, ça va ! Comme beaucoup de femmes, quarante ans, c’est quand même une étape... Et c’est l’âge du bilan. A quarante ans, j’ai fais ceci, mais j’ai pas fait cela...
Qu’est-ce qu’il vous reste à faire ?Écrire une pièce de théâtre, une comédie. Je crois que je commence à maîtriser l’écriture comique. Le sens des dialogues, je l’ai. J’aimerais mettre tout cela au service d’une pièce
Vous joueriez dedans ? Ah oui, si je me fatigue à écrire, je joue dedans !
Cela vous prend combien de temps d’écrire un spectacle ?Cela prend un an à deux ans. L’écriture est super importante et c’est très long à mettre au point une écriture d’humour, c’est vraiment de l’horlogerie suisse. J’ai commencé à y penser, il y a un an et demi. J’ai commencé à tourner avec le nouveau spectacle en septembre de l’année dernière. J’ai rôdé les sketches toute la saison et là je crois que j’arrive à Paris fin prête.
Qu’est-ce que vous souhaitez montrer de l’humanité ? Qu’est-ce qui vous intéresse chez les gens ? Ce qui m’intéresse, c’est de montrer l’humanité qu’il peut y avoir dans une certaine dureté. Cela m’intéresse de montrer sur scène des gens que l’on ne regarde pas forcément, qui ne sont pas forcément dans une situation reluisante, comme la caissière ou l’auxiliaire gériatrique… Et puis cela m’intéresse aussi de dire tout haut des choses que les gens vivent tout bas et qui ne se formulent pas forcément. Je suis intéressée aussi par les personnages qui ont plusieurs dimensions, plusieurs couleurs. J’essaie de brosser… je n’aime pas trop le mot caricature, plutôt des tableaux.
Et vous, ces gens que l’on ne regarde pas, vous les regardez comment ?Je les regarde parce que je suis curieuse. Je ne prends jamais une personne entière. Je pense qu’au moment où j’écris, il y a des choses qui surgissent. Ce n’est pas forcément une personne réelle. C’est d’ailleurs parfois assez dur de mettre des personnes réelles sur scène. Tout cela est recréé. Je n’aime pas la réalité sur scène. Elle n’est pas forcément drôle. Ce qui à mon sens fait un humoriste, c’est qu’il condense la réalité et lui apporte un éclairage différent qui fait que les gens vont voir cette réalité d’une manière dont ils ne l’ont jamais vue.
Vous avez commencé à 22 ans, après avoir fait Sciences Po. Pourquoi avoir fait Sciences Po ?J’ai fait Sciences Po parce que j’avais peur de ne pas arriver à gagner ma vie comme comédienne. C’était ma grosse hantise. J’ai commencé très tôt à faire des sketches, dès l’âge de douze ans puis j’ai suivi la classe pour ados du cours Florent. Et je me suis aperçue très vite que la plupart des comédiens étaient au chômage. C’était marqué dans les brochures de l’Onisep. J’ai pris conscience très tôt de la précarité de ce métier. Donc, Sciences-Po, c’était pour pouvoir être journaliste si jamais je n’arrivais pas à être comédienne. Car c’est l’autre métier qui m’aurait attiré. On rencontre des gens, on pose des questions et comme je suis curieuse, cela m’aurait plu aussi. J’ai choisi Sciences Po parce que cela ne durait que trois ans mais même quand j’y étais, je n’ai jamais arrêté le théâtre.
Vous avez raté tous les concours d’entrée aux grandes écoles théâtrales. Comment expliquez vous ces échecs ?Eh bien, je pense qu’à l’époque, je n’étais pas bonne. Je ne pense pas qu’ils soient passés à côté d’un génie méconnu. La rue Blanche, ils ont eu le temps de me voir, je l’ai passée trois ou quatre fois… Je ne réussissais même pas le premier tour ! je pense que je n’étais pas bonne ou que je n’étais pas faite pour cela. Je pense que c’est important quand on est comédien de trouver son axe, sa spécificité. Je l’ai beaucoup cherchée, il m’a fallu du temps pour la trouver.
Quel a été le déclic pour se lancer dans le One Woman Show ?Entre douze et vingt-deux ans, j’ai eu beaucoup d’échecs et je voulais de toutes mes forces être comédienne. Les portes se fermaient. J’avais mon diplôme de Sciences Po, j’aurais pu commencer à travailler et je me suis retrouvée au pied du mur. J’ai eu l’idée de faire des sketches, ce qui était déjà ce que je faisais quand j’avais douze ans.
Vous aviez vraiment la baraka ! Rien ne vous décourageait !Pas la baraka, mais une farouche détermination !
Et pourquoi cette détermination ? Pourquoi était-ce si indispensable pour vous d’être comédienne ?Parce que j’avais peut-être besoin d’être aimée, je ne sais pas. Je me souviens d’un ami de mes parents qui me provoquait en me disant : Tu ne seras pas actrice, tu ne vas jamais y arriver ! Je me rappelle que j’étais restée silencieuse, et puis j’ai dit : Si, je vais être actrice, j’aime trop les applaudissements. Et c’était dans la période où je me posais des questions. Mais j’ai eu de la chance de trouver ma voie, je pense que si j’avais continué à échouer, j’aurais arrêté, je ne me serai pas non plus acharnée.
Vos parents y croyaient ?Non pas spécialement, mon père m’avait dit : Tu te donnes jusqu’à quel âge pour échouer ? En plus j’étais l’aînée… Mon père m’a dit : Je veux bien que tu essaies d’être actrice mais il faut que tu fasses quelque chose pour gagner ta vie au cas où… C’était un discours assez rationnel en fait ».
Et finalement vous n’avez pas eu à faire des petits boulots à côté ! Un an après ma sortie de Sciences Po, j’étais dans « La Classe », l’émission de Fabrice sur France 3. Après cela a vraiment démarré.
Cela a été le succès tout de suite, cela vous a rassurée ?J’étais soulagée mais en même temps, j’étais tétanisée. Je n’osais pas changer une ligne du spectacle, j’avais peur que le succès s’en aille. Je n’avais tellement pas l’habitude d’avoir du succès ! Je pensais que si je changeais un mot dans le spectacle, il n’y aurait plus de spectateurs. Je n’osais pas partir en vacances. À l’époque, on jouait six fois par semaine et donc pendant neuf mois, j’ai joué six fois par semaine tellement j’avais peur que, si je parte, on prenne ma place ou qu’ils programment un autre spectacle. Au bout de neuf mois, j’ai osé demander une semaine de vacances. J’avais comme qualité, que j’aie toujours, une force de travail et de détermination très grandes.
Et un besoin d’être sur scène ?Un plaisir !
Vous n’avez pas peur quand vous entrez sur scène ?Si mais…Le plaisir est plus fort.
Vous jouez des personnages de femmes. Votre univers est féminin ?
Non, je n’aime pas trop quand on dit cela. Les gens rient ou pas. Ils s’en foutent que cela soit un univers masculin ou féminin. On ne demande d’ailleurs jamais aux hommes si leur univers est masculin.
Vous vous intéressez beaucoup à la société. Quels sont les sujets que vous retenez actuellement ?Je pense que les gens se fixent certains diktats. Les époques ont des modes. Il faut être jeune, il faut être mince, il faut avoir Internet, il faut divorcer, avoir des amants. Beaucoup de gens sont victimes de ces diktats qui nous tombent dessus. Je donne un grand coup d’oxygène aux gens en tournant tout cela en dérision.
Vous abordez toujours le souci que les femmes ont de leur apparence. C’est important pour vous ?Oui, je pense que cela pourrit la vie de millions de femmes. Je pense que s’il doit y avoir une révolution féministe dans les années qui viennent, c’est celle-là. Cela ne veut pas dire qu’il faut qu’on devienne des gros boudins pas épilés mais bon...
En vingt ans, le métier a-t-il beaucoup évolué ?Il y a beaucoup plus d’humoristes qu’avant. Pour certains, c’est un moyen de devenir riche et célèbre rapidement.
Vous êtes riche ?Oui, ça va merci ! Après les gens n’ont pas forcément une vraie nécessité à faire les choses. Mais en même temps, tous ces gens qui s’essayent, cela fait bouger les choses. Cela pousse les humoristes à se renouveler, à assurer, à êtres bons. On n’a pas le droit à la médiocrité avec tous ces gens qui attendent derrière pour prendre notre place. Je trouve cela assez stimulant.
Quels sont les comiques d’aujourd’hui qui vous plaisent ?Je trouve Gad Elmaleh, Franck Dubosc, Florence Foresti très bons. Ces trois-là, comme par hasard, sont ceux qui ont été au Québec. Je les retrouve au Festival « Juste pour rire » qui est très stimulant car le niveau est assez élevé. Les Québécois travaillent plus, s’occupent plus du rythme.
Comment écrivez-vous vos sketchs ?
Je les écris et je les joue puis je les réécris et après je les rejoue et je les ré-réécris. À la fin d’un spectacle, je propose un nouveau sketch et je le retravaille en fonction des réactions. C’est assez laborieux l’écriture de sketch, il faut beaucoup chercher. J’ai la chance de trouver, mais cela ne se fait pas tout seul.
Vous aimez autant écrire que jouer ?J’aime autant les deux. Au début, écrire était une nécessité. Maintenant, j’y trouve un vrai plaisir et ce que je trouve formidable, c’est l’autonomie et l’indépendance. On ne dépend de personne. Cela, c’est très très agréable.
Si vous aviez eu de belles propositions de rôles au théâtre ou au cinéma, auriez-vous continué le One Woman Show ?À un moment, j’ai été très en attente de telles propositions et après celles que j’aie eues n’étaient pas forcément… En fait il m’a fallu du temps pour prendre conscience que c’était une grande chance de faire du One Woman Show et d’avoir du succès là-dedans, que c’était un grand privilège. On est libre, autonome. Je dépends de ma créativité. Je pense que ce que je fais est une forme d’art à part entière qui me donne de grandes satisfactions.
Vous avez encore des envies de grands rôles au cinéma ?J’admire Gad Elmaleh qui a fait « Chouchou » Franck Dubosc qui a fait « Camping », Valérie Lemercier qui a fait « Palais Royal » ou Jean Dujardin avec « Brice de Nice ». Ils ont investi deux ans de leur vie dans un projet, ils l’ont porté et ils ont réussi. Tant mieux. Je trouve que leur succès est mérité. Je n’ai pas moi pour l’instant, l’impression d’avoir un projet, une idée tellement géniale que je vais y passer deux ans de ma vie. Peut-être que cela viendra mais… j’attends un déclic.
Et un simple rôle d’actrice ?Oui cela me plairait, dans l’absolu, mais en même temps, je m’aperçois que je suis assez indépendante et autoritaire. Je n’aime pas qu’on me donne des ordres. Je suis capable de m’écraser pendant une semaine de tournage, même un mois… Si je suis bien payée (rire), mais fondamentalement je crois que si je me retrouve seule sur scène à faire des sketches, c’est peut-être pas un hasard…
Est-ce qu’il y a des pièces que vous aimeriez jouer ?Un classique pendant un festival d’été, pourquoi pas ? Mais si je suis au théâtre, c’est pour faire rire les gens. C’est pour cela que tant qu’à jouer une pièce, j’aimerais mieux l’écrire.
Vous êtes définitivement une comique ?Oui, je n’ai pas de soucis avec ça. Mais cela n’empêche pas qu’une comique puisse déclencher de l’émotion et qu’à un moment dans le spectacle, les gens aient des larmes aux yeux et c’est bien. J’aime bien cela, moi, faire rire les gens, et après les cueillir, et après les refaire rire.
Quelles sont les actrices de votre génération que vous aimez ?J’aime bien Catherine Frot parce que je la trouve subtile et à l’économie de moyens. J’admire beaucoup Isabelle Huppert. Je serais incapable de faire cela. C’est mon antithèse. Avec une extrême économie de moyens, elle fait passer beaucoup de choses.
Vous allez beaucoup au théâtre ?J’y suis beaucoup allée, mais je n’ai plus le temps. Je me tiens au courant. Je sais toujours qui joue dans quoi mais… je passe beaucoup de temps sur scène.
C’est un milieu sympa le One Man show ?On ne voit pas tellement les autres en fait. On est seul sur scène. Après on peut les croiser. Mais oui, je pense que c’est sympa. Il y a du respect mutuel. Il y de la compétition mais c’est moins violent qu’en danse classique ou dans le chant lyrique.
Comment s’exprime la compétition ?On surveille les ventes de DVD des autres, comment ils ont rempli leurs salles, leur nombre de dates en tournée. On se dit : tiens, il a fait un sketch sur tel truc, merde, pourquoi j’y ai pas pensé avant, voilà.
À quarante ans, vous êtes contente du chemin parcouru ?Oui ! Il a fallu se battre. Il y a eu parfois des gens qui ont voulu m’écarter, il y a eu des crises personnelles, des moments de doute où l’on ne sait plus quel chemin prendre, où l’on a plus oumoins de jus. En même temps, j’ai toujours eu du succès, je n’ai jamais eu de trou dans ma carrière. Cela a été moins facile qu’on peut le croire, mais cela n’a pas été non plus… C’est un métier que j’aime. Voilà.
Finalement cela vous a servi d’avoir votre diplôme de Sciences Po ?Oui, j’ai un bon esprit de synthèse, je rédige facilement Je ne fais jamais de complexes avec des gens instruits et cela fait causer les journalistes…
Agnès GROSSMANN (Paris)
Au programme du nouveau spectacle, une vingtaine de sketches dont une quinzaine de nouveaux. Comme toujours, Anne Roumanoff y aborde les problèmes de société actuelle. Son terrain d’exploration reste la vie quotidienne. Ses nouveaux sketches se lancent à l’abordage de la chirurgie esthétique, du divorce… et mettent sur le devant de la scène tous les personnages que l’on peut croiser au quotidien sans jamais se demander qui ils sont : une vendeuse de H&M, une caissière de supermarché mais aussi une vieille dame décédée qui revient assister à son enterrement. Cette artiste passe son temps à accoucher de la réalité, mais allez savoir pourquoi, le bébé est toujours drôle.
Anne Roumanoff, dans
Anne a 20 ans !Du 26 juillet 2007 au 13 janvier 2008, à 21h.
Bouffes Parisiens 4 rue Monsigny, 75002 Paris
Locations : 01 42 96 92 42
Photo © William Let