15 juillet 2008
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Après Inferno dans la cour d’honneur, Romeo Castellucci poursuit son voyage dans l’œuvre de Dante.
Précipiter le Purgatoire sur une scène de théâtre
Lors d’une répétition publique à Senigallia, station balnéaire de la côte Adriatique où eurent lieu les répétitions en juin, une spectatrice s’était inquiétée de la suite des évènements : « si c’est ça le purgatoire, qu’est-ce que ça va être l’enfer… » La version du Purgatoire de Romeo Castellucci est en effet d’une violence insoutenable, elle raconte l’histoire d’un inceste dans une famille bourgeoise. D’ordinaire le metteur en scène italien représente une forme de théâtre qui peut être vécu comme une menace pour le théâtre de texte, son Purgatorio pourtant fait entendre un texte, et une forme quasi classique : personnages (le père, la mère, l’enfant), dialogues, décor réaliste. Cependant ce n’est pas une adaptation : « Je veux lire, relire, dilater, marteler et étudier à fond La Divine Comédie pour pouvoir l’oublier, la précipiter sur la terre d’une scène de théâtre… Ce Purgatoire est un « canto della terra », matériel et concret. L’homme devient un être curieux, sans cesse arrêté par le concret des choses et des objets. Les personnages font l’expérience du corps banal, des retrouvailles avec les matières de la vie. Ils se savent condamnés à errer parmi la réalité. C’est donc une expérience de la lucidité qui dérange, fait peur, comme si les sensations et les corps se dissolvaient dans la matière. Le dispositif scénique donne un grand rôle aux objets. C’est le moment le plus complexe, car il faut trouver un dispositif où apparaît très nettement le jeu du théâtre. »
Ouvre la bouche, ouvre ta putain de bouche !
Les personnages de la pièce se fondent dans ce grand décor d’objets : canapé, table, meubles, lit, chaises, frigo, plantes, télé, tout est reconstitué. La représentation emprunte ses formes à l’opéra (décor réaliste monumental), le cinéma (cinémascope et micros HF) et la machinerie théâtrale (changement de décor construit comme une boîte, jeux de cintre…). Une mère prépare à manger à son fils. L’enfant refuse de manger car il a mal à la tête, il va regarder la télé dans sa chambre. Le père rentre du travail, il est fatigué et raconte sa journée d’un air las. Des dialogues insignifiants entre le mari et la femme renforcent l’ennui et la banalité de leur vie quotidienne. Une inquiétude vient se glisser dans ce réalisme et l’envahit. Puis c’est la scène de l’inceste. On entend juste des bruits, des cris, des souffles : « ouvre la bouche, ouvre ta putain de bouche! ». On est seuls face à la scène vide pendant environ 5 minutes. Après le viol, le père redescend l’escalier dans la pénombre. Lors de la deuxième représentation, un spectateur a crié à l’acteur, violemment : alors, c’était bien ? L’acteur a continué à jouer. L’enfant s’est glissé derrière lui, comme tous les soirs, et s’est appuyé contre son épaule. «Je voulais parler de la force invincible du pardon. L’insupportable, c’est que la victime puisse pardonner au bourreau. » La deuxième partie du spectacle ressemble davantage aux visions oniriques de la Raffaello Sanzio : on voit à travers un écran - oeil circulaire un ballet de fleurs gigantesques sur un ciel orageux (on dirait une bataille d’Uccello) puis une chorégraphie qui bouscule les rôles : un grand et mince danseur prend la place de l’enfant en culotte courte, un acteur handicapé celle du père. Le choc est violent, la gêne des spectateurs est palpable, elle renforce des réactions très distinctes. Il y a ceux qui souhaitent fuir ce cauchemar au plus vite et ceux qui debout participent longuement à la standing- ovation médusée…
Matthieu MEVEL (Avignon)
Purgatorio se joue tous les jours à 18h à Châteaublanc, au parc des expositions, jusqu’au 19 juillet. Relâche le 13.
Avec Irena Radmanovic, Pier Paolo Zimmermann, Sergio Scarlatella, Juri Roverato, Davide Savorani
Romeo Castellucci (texte, mise en scène, scénographie, lumières et costumes)
Scott Gibbons (musique)
Giacomo Strada (collaboration artistique)
Cindy Van Acker (chorégraphie)
Istvan Zimmermann et Giovanna Amoroso (sculptures, mécanismes)
Guiseppe Contini (automates)
Zapruder filmmakersgroup (images)
Production : Le Maillon, Le Théâtre - scène nationale de Poitiers, Kunsten Festival des Arts, Opéra de Dijon, Vilnius International Theatre Festival Sirenos, Vilnius, Emilia Romagna Teatro Fondazione, Barbicanbite09, Tokyo International Arts Festival, Napoli Teatro Festival Italia, Spill Festival, UCLA Live, Athens Epidaurus Festival, Nam June Paik Art Center, Cankarjev dom, Festival d'Avignon, Festival La Bâtie, Théâtre deSingel, Societas Raffaello Sanzio
Photo © Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon