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10 novembre 2007 6 10 /11 /novembre /2007 18:57
LA BANALITÉ DU MAL

Avancée par Hannah Arendt, la notion de banalité du mal caractériserait assez bien ce Terrain vague d’Olivier Rohe qui donne la parole à un sinistre personnage, moins torturé par sa culpabilité que préoccupé par l’usure du temps, « cet obscur ennemi qui nous ronge le cœur ».


Avec une certaine crânerie, le comédien havrais, Jean-Pierre Guiner, a choisi  d’incarner le héros d’Olivier Rohe, un personnage ambigu, presque impossible à identifier. Certes, l’homme n’est pas avare de paroles et il n’hésite pas à nous rapporter ses occupations, ses états d’âme et les pensées qui traversent sa solitude. Mais cette logorrhée, loin de dessiner les contours d’une personnalité précise, semble s’acharner à brouiller les pistes, à opérer une constante déconstruction.

Cependant, le personnage n’est pas comme le Meursault de Camus, étranger à lui-même et passablement indifférent au monde qui l’entoure. Il observe, au contraire, les choses avec une méprisante acuité du regard, une lucidité glaçante. Ainsi, lorsqu’il évoque les citadins qui « courent la nouveauté et s’agglutinent massivement, bestialement, comme des colonies de mouches à merde sur les terrasses éclairées du bord de mer. » Le vieil homme se livre aussi à une complaisante introspection, amer ressassement dans le périmètre dérisoire qui circonscrit une confuse vie intérieure. « À force de reproduire les mêmes journées et de reconstituer – péniblement, de manière très parcellaire – les mêmes souvenirs je ne distingue plus l’hier de l’aujourd’hui. » Le passé devient ainsi ce terrain vague qui donne son titre au livre. Mais pour être vagues, de tels endroits ne sont pas vides. Il y traîne des objets, des ferrailles, des détritus et des plantes poussées là, au hasard de mauvaises graines déposées par le vent. De la même façon, l’auteur a lui aussi semé tout au long de son récit de troublants indices, des indications suspectes, le soupçon de terribles faits à peine évoqués, trop vite escamotés.

Un bourreau universel

Peu à peu, la vérité s’impose. Ce pitoyable vieillard fut un impitoyable tortionnaire. À vrai dire, on ne sait pas exactement à quel pouvoir totalitaire il offrit son aide précieuse et odieuse. L’Allemagne nazie, quelque dictature sud-américaine… Les deux, peut-être, car on le sait, le tortionnaire est un être qui sait s’adapter aux vicissitudes de l’histoire et que les divers pouvoirs s’emploient régulièrement à recycler. Parfois, certains événements, comme cette femme hurlant : « qu’avez-vous fait de mon fils ? », feraient penser à l’Argentine, aux folles de mai. Parfois, le supplice infligé à un pédé d’Anglais nous ramène aux horreurs hitlériennes. Qu’importe, ces personnages, on l’a dit, sont de toutes les époques. Leur vie est un étonnant mélange de violences inouïes et de mesquines espérances, de monstrueuses exactions et de débonnaires rituels, de sadiques exécutions et de petits plaisirs quotidiens. La banalité du mal, disions-nous. Et la capacité à s’ériger à son tour en victime, à cuire et recuire de tristes rancoeurs, à pleurnicher sur son sort, ses malheurs, sa mort prochaine.

Il fallait un certain courage à Jean-Pierre pour devenir l’icône de cette triste et fuyante figure. Il eut l’habileté de ne pas imposer à ce texte une théâtralité artificielle. D’une voix posée, dénuée d’effets déclamatoires, le comédien a laissé monter en lui, et pour les spectateurs, le malaise salutaire de cette histoire durement arrachée à la mémoire de son lamentable héros. La mise en scène prit elle aussi ce parti pris de sobriété, installant l’acteur dans une lumière crue sur un plateau presque nu. Il faut aussi parler de la musique de Romain Ponsot, obsédante comme le bruit que font dans la tête des souvenirs de guerre qu’il est plus facile de nier que de chasser.

Yoland SIMON (Le Havre)

Terrain vague
Sur un texte d’Olivier Rohe (éditions Allia)
Par la Compagnie de la Sirandane.
Adaptation : Jean-Pierre Guiner et Alicia Serra
Interprétation : Jean-Pierre Guiner
Mise en scène : Alicia Serra
Scénographie : Pascal Doudement
Lumière : Philippe Ferbourg
Musique : Romain Ponsot
Photographie : Olivier Roche

Création au Petit Théâtre du Havre. 8, 9, 10 novembre 2007
Représentations prévues en mars 2008 à l’Université de Rouen, Le 29 avril 2008 au
Théâtre de La Pointe de Caux de Gonfreville-l’Orcher, puis en tournée.


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