« LAffaire Don Juan », de Franck Delorme est enfin ! une vraie pièce de théâtre. Lair de rien, lauteur y balance des vérités quon na pas forcément envie dentendre.
Cest la pièce de théâtre la plus remarquablement écrite que jai vue depuis le début de ce Festival off 2005, tentaculaire et proliférant comme une tumeur. Jai dailleurs regretté très fort de ne pas avoir, comme dhabitude, centré mes choix sur du théâtre dauteur vivant, joué par au moins deux comédiens, exclusivement. Cest le cas de LAffaire Don Juan, de Franck Delorme.
Il y est, bien sûr, question de la figure du séducteur modèle que nous croyons bien connaître. Et pourtant En effet, en 1964 à Séville et après vingt-cinq ans de dictature franquiste, le mythe peut revêtir des oripeaux tout à fait inattendus En tout cas, le Privé de LAffaire, lui, a son opinion et elle a le mérite dêtre claire : « [ ] je vais vous dire comment je le vois, moi, le bourreau des curs. Cest avant tout un gros fainéant, un gosse de riches qui ne sait rien faire de ses dix doigts. Courir la gueuse comme il le fait, cest un sport de nanti. Faut pouvoir se lever tard Ensuite, cest un déjanté, votre Don Juan. Et comme il a la tchatche et quil a compris à quoi rêvent les jeunes filles, il les baratinent, et hop, à la queue comme tout le monde ! Mais lamour dans tout ça, que dalle ! Il ne sait pas aimer, ce mec-là ! Il ne fait pas de sentiments. Cest pas dans ses compétences. Jai fait la liste de ses exploits. Ça va de lescroquerie au meurtre, au parricide même, en passant par la polygamie et le viol ! Cest pas mal comme curriculum vite fait Moi, je le trouve pas très séduisant, létalon. » La ligne est fixée : le mal absolu peut sébrouer et tracer la route.
Je suis Franck Delorme depuis son Molière en coulisses (création en 2002, à lAlibi à Avignon), qui démontrait déjà des qualités décriture évidentes. Avec ce dernier travail, lauteur a accédé au niveau supérieur. Le style précis, efficace, sans scories littéraires superfétatoires, en un mot théâtral, atteint son but : nous intéresser à laction, nous tenir constamment en haleine et nous embarquer vers une destination inconnue. La progression dramatique est remarquablement maîtrisée, sous le contrôle minutieux de lécrivain omniscient et machiavélique. La construction savante des personnages révèle une profonde connaissance de ce que doit être une figure façonnée pour le théâtre. Elle injecte du mystère dans un premier temps, elle intrigue ensuite, puis se complexifie, se nuance, voire déconcerte, et, le masque enfin tombé, elle met à poil les apparences.
Ce thriller théâtral est mené par Franck Delorme comme une corrida. Il plante ses banderilles sur le dos des spectateurs, mais pas trop profondément, juste assez pour faire mal et pour quils tiennent quand même jusquau coup dépée final.
Le Privé est incarné par Franck Delorme lui-même, avec la lassitude et lautodérision dun Bogart un peu minable qui aurait abandonné ses rêves de gloire tauromachique. Virginie Pérès défend crânement son Eva Tenorio bouffée par la douleur et très émouvante. Quant à Alain Leclerc, même sil est un peu en force, je le trouve grandiose. Quil est beau, ce salaud !
LAffaire Don Juan (El caso Tenorio), de Franck Delorme
Théâtre de la Mandragore, service culturel, hôtel de ville, place Jean-Jaurès 59450 Sin-le-Noble
Tél./Télécopie : 03 27 88 37 76
Contact : 06 09 92 17 33
Mise en scène : Franck Delorme
Avec : Alain Leclerc (Don Miguel), Virginie Pérès (Eva Tenorio) et Franck Delorme (le Privé)
Création lumières : François Chaffin
Régie : Marion Coquelle et Olivier Dassonville
Théâtre de lAlbatros 29, rue des Teinturiers Avignon
Tél. : 04 90 86 11 33
Du 8 au 30 juillet 2005 à 20 h 30
Durée : 1 h 10
Tarifs : 14 , 10 et 4