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Festival d'Avignon

4 juillet 2006 2 04 /07 /juillet /2006 20:10
Grenoble, 30 Juin - 9 Juillet 2006

Le projet artistique, culturel, international de ces Rencontres s’appréhende dans sa continuité. Ma discrète incursion dans l’aventure était privée de l’inauguration et des deux premiers jours de spectacle ; j’ai subi, de fait, au dire de tous, le manque irréparable de la performance de l’Académie Internationale de Rome. Mon immersion totale par la suite me permet cependant de saisir ce qui fait l’essence de ce rendez-vous et, à défaut d’en communiquer l’ivresse, de vous livrer mes impressions sur le flacon du millésime 2006.

Les Rencontres rassemblent cette année dix-huit troupes qui proviennent de pays européens, certes, mais également du Burkina-Faso, du Québec ou encore d’Israël. Curiosité, respect de l’altérité fondent un humanisme sincère qui réunit dans la fournaise grenobloise trois cents participants animés d’un même amour de la scène et de ses diverses cités. Les réjouissances ont d’ailleurs parfois un goût de JMJ (Journées Mondiales pour la Jeunesse) où, sans prêche toutefois, se célèbrent et se révèlent les jeunes ferveurs comédiennes.

Un projet dont la cohérence s’inscrit dans la durée

Un événement installé

Légitimité reconnue d’une aventure pérenne dont la 18e édition confirme l’ampleur et l’importance au regard de jeunes compagnies qui y trouvent un lieu d’échange et de partage propre à stimuler leurs vocations. L’association du Créarc, dirigée par Fernand Garnier, entretient les relations internationales qu’elle cultive avec les acteurs sans frontières du spectacle vivant ; c’est d’ailleurs cette ouverture privilégiée sur le monde qui lui vaut d’être choisie pour rendre hommage à Tadeusz Kantor par les régions Rhône-Alpes et Malopolska (Pologne) à l’occasion du renouvellement de leur protocole de coopération. Exceptionnellement dédié à la Pologne, l’événement était donc ponctué par une journée consacrée à l’auteur du « théâtre de la mort » : Table ronde animée par des spécialistes sur les sources et les apports de son œuvre ainsi qu’une projection du film La Classe Morte réalisé à partir du spectacle de Kantor par Andrzej Wajda (sous-titré en français pour la première fois à cette occasion) suivi d’un grand débat.

Un événement partagé

Si les Rencontres représentent un aboutissement gratifiant pour les projets singuliers qui y sont présentés, elles impliquent également un réel engagement des jeunes comédiens dans leur déroulement. Ceux-ci sont en effet invités à suivre le travail des autres en assistant aux différents spectacles (à raison de deux par jour en moyenne) et s’investissent, en outre, dans une création collective qui salue la fin des festivités.

Ainsi, chaque jour, participent-ils à l’un des onze ateliers, dirigés par neuf metteurs en scène ou intervenants spécialisés, en vue d’une grande parade de clôture qui traverse la ville.

Intitulée Noces, cette grande cérémonie s’inspire cette année d’une thématique chère à Kantor en convoquant autour des époux, des villageois, des mendiants et des morts… Fruit d’un engagement commun et d’un partage des responsabilités, l’ultime production nécessite une concertation quotidienne. C’est une coopération totale qui permet donc d’assurer la logistique et la cohérence artistique d’un spectacle en constante élaboration. Ce travail collaboratif peut également s’enrichir au gré d’initiatives particulières ; saluons à ce titre le travail de Bruno Thircuir, metteur en scène de la compagnie grenobloise « La Fabrique des Petites Utopies », qui s’est entouré de comédiens étrangers pour nous offrir Manque de Sarah Kane. Formés à la faveur d’un atelier conduit sur quatre jours, les jeunes comédiens ont mêlé leurs corps, leurs voix et leurs langues à une mise en scène exhaussant la virulence de ce texte âpre.


Les acteurs d’une citoyenneté sans frontières

Convivialité

Citoyens du monde, les comédiens sont chez eux partout et Grenoble devient pour un temps la capitale à part d’une Europe (ré)conciliée. Vivante, polyglotte, chamarrée, la ville respire au rythme des spectacles ; le tram, les restaurants sont ponctuellement assiégés de jeunes heureux et loquaces, la rue devient une scène pour les Roumains qui chantent et dansent. Ce déploiement suscite la curiosité des autochtones et vacanciers qui seront d’ailleurs très nombreux à déambuler dans la parade et à assister à la célébration de ces Noces funèbres dans le jardin du musée.

Cette présence massive à l’ultime manifestation des rencontres n’est pas l’apanage de tous les spectacles, ceci eu égard à leur prolixité (dix-sept représentations en une semaine) et, sans doute aussi, au parti pris exigeant de pièces non sous-titrées. L’espagnol, l’italien, l’anglais, l’allemand, le polonais, le grec, l’hébreu, le français, autant de langues dont la beauté fait sens dans l’éloquence du jeu d’acteur et de la mise en scène.

Le spectateur à défaut d’intelligibilité linguistique ne peut que se laisser emporter par l’expérience sensible qu’il fait de la scène, en appréciant le jeu des corps en mouvement et celui des intonations, en savourant les sonorités… Au-delà des mots se joue cette émotion qui fait l’essence de la théâtralité.

Echange

Plus que leurs langue, les troupes mettent en jeu, au sens large du terme, des représentations du monde imprégnées par des cultures, des esthétiques, des contextes politiques très différents qui se heurtent, se complètent ou se prolongent..

A cet égard, la pièce Ici la vie est belle, proposée par la compagnie Marbayassa de Ouagadoudou (Burkina Faso), était édifiante ; ce drame cruel sur le règne de la suspicion et de la violence à l’œuvre dans une dictature ne négligeait pas de susciter quelques rires… Ceux-ci éclatèrent pourtant au regard d’une scène de viol assez crue et ne manquèrent pas de choquer le spectateur pleinement « conscient » du drame qui se jouait sur scène. Mais en en faisant la remarque au débat, Hubert Kagembega, le metteur en scène, ne s’en étonna nullement et nous apprit que ce rire, loin d’être anecdotique, était presque systématique chez les spectateurs africains et constituait une forme de catharsis. Thèmes fleuves cette année, ceux des rapports hommes-femmes et de la violence qui entrent en confluence dans le « motif » récurrent du viol. Questionnements universels, mais traités scéniquement en fonction de sensibilités très diverses qui se sont enrichies autour d’un débat quotidien.

Le Café-débat, ouvert au public en présence des metteurs en scène et comédiens qui se sont produits la veille, est un temps fort de ces Rencontres. Il n’évite pas l’écueil de longueurs fastidieuses dues aux traductions mais symbolise bien l’ouverture à l’autre qui prévaut dans ce rendez-vous ; participants et visiteurs étaient également conviés à faire part de leurs appréciations auprès du Créarc. De cette qualité des rapports interpersonnels naissent parfois des rapprochements impromptus. Les professionnels se découvrent et initient de nouvelles rencontres, en d’autres lieux… Les comédiens pensent à s’expatrier pour un temps au gré d’amitiés et d’amours naissantes… Foisonnement de générosité, de tolérance et, somme toute, de nobles intentions pour ces temps forts de découvertes théâtrales ; les Rencontres perdureront sans nul doute mais devront peut-être se (re)définir plus clairement aux yeux du grand public.

Composer avec les paradoxes…

Flou artistique

Car le public non averti, le spectateur badaud, le curieux, peut facilement se laisser décourager par une incursion hasardeuse en cours de semaine et même, ressortir un tantinet dépité. Chaque spectacle se donne bien sûr comme une œuvre unique mais il s’inscrit dans le cadre spécifique des Rencontres : le public est très majoritairement composé des participants et là où tolérance, respect et passion sont partagés, une certaine bienveillance est de mise… Il ne s’agit pas de remettre en cause la bonne foi des commentaires, le principe n’étant pas de juger, c’est entendu, mais de discuter de façon constructive. Cependant, réalité imputable à la disparité de l’âge et du statut des groupes conviés : amateurs issus d’ateliers théâtre, débutants ou semi-professionnels en formation dans une Ecole d’Art dramatique, les performances sont très inégales. Les aléas de la programmation, dus aux égards légitimes pour les salles excentrées et aux conditions matérielles, ne garantissent pas non plus l’intérêt qui est « de mise » pour les spectacles donnés en soirée.

Sans importance, pièce de Beata Bieronska présentée par le Theâtre Druid de Podkowa Lesna ne durait qu’une demi heure et nous a laissé un petit goût amer d’inachèvement La prestation des Israéliens avait, elle aussi, ce privilège de visibilité tout en étant, d’un point de vue artistique, assez déplorable dans le contexte de Rencontres Internationales. C’est ici la dimension humaine qui « primait ». La présence de la compagnie Peace Child de Nazareth-Ilith était, en effet, doublement symbolique en ces temps où le conflit israélo-palestinien continue de faire rage ; d’une part car elle réunit des enfants issus de ces deux pays et, d’autre part, car la pièce annoncée, inspirée de Roméo et Juliette et de West Side Story, mettait en avant les difficultés de cette belle alliance que la pratique du théâtre a su notamment rendre possible dans cette province.

Certaines représentations auraient pourtant davantage mérité de bénéficier de l’effet 20h30 plus propice à drainer un public extérieur : C’est le cas des Allemands du Theater Frankfurt, notamment, qui se livraient à une interprétation sombre et vertigineuse de l’Eveil du printemps de Wedekind.

Babel de Pise

Disparité de statuts, disparité de qualité, disparité d’âges, amènent à s’interroger sur la nature exacte de ces Rencontres. Culturelles, sociales, pédagogiques, artistiques, internationales ? Elles relèvent de tous ces enjeux mêlés et manquent parfois de clarté dans leurs objectifs. La journée d’hommage à Kantor, de par la qualité des intervenants, avait plutôt vocation à être érudite, instructive mais le contexte n’en offrait pas les moyens. Il n’était ainsi pas gérable de traduire en français et en anglais des interventions majoritairement en polonais, le livret, remis pour l’occasion, remplissait cet office, se suffisait à lui-même et rendait donc notre présence à cette table ronde formelle pour ne pas dire inutile.

Saluons tout de même ici le travail des bénévoles investis et des participants passionnés qui assumaient, notamment, ce rôle de porte-parole en se faisant interprètes occasionnels. De même, comme nous l’avons évoqué, la compréhension d’une pièce dans une langue étrangère est gage d’une intense concentration sur le langage de la scène et sur le jeu de l’acteur. Si l’expérience est enrichissante, elle peut, à la longue, s’avèrer « pénible » quant au constant engagement dans une quête de sens ; ne nions pas non plus une certaine frustration de ne pas saisir plus intimement la beauté du texte. C’est sans doute un autre enjeu de ces Rencontres que de transmuer cette part d’incompréhension en curiosité pour la découverte d’auteurs étrangers et d’instaurer un dialogue avec ces comédiens qui les incarnent.

Or, c’est bien la principale ambition du Créarc que de créer le lieu de ce partage ; d’année en année se tisse un véritable réseau, investi dans la poursuite d’enjeux collectifs et conscient du sentiment d’appartenance qu’il concourt à créer. Résultats à la hauteur, malgré les quelques réserves formulées ici, puisque ces jeunes n’aspirent qu’aux retrouvailles et que la jeune adulte que je suis conçoit, enfin, un peu mieux, ce que peut être cette rencontre avec l’Europe… Prochain rendez-vous en juillet 2007 !

Bérénice FANTINI
(envoyée spéciale à Grenoble)

Crédits photographiques © :
n°2 et 5 : Yannick Eynart Verrat
n°3, 4, 6 à 8 : Bérénice Fantini
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