CAR, AU FOND, LA VIE EST BELLE…
Sans chercher à illustrer l’adage qui veut que tout peut prêter à rire, ce spectacle très drôle propose la chronique douce amère de deux jeunes filles en fleur à un moment de l’Histoire où, malgré les bruits de bottes et les échos de fusillades, on a le droit d’avoir des préoccupations de son âge.
Benoite et Flora sont inséparables. Leur moyenne d’âge : 17 ans. Cet âge où l’on n’est pas sérieux selon Rimbaud. Elles ont quatre ans d’écart. C’est quoi, quatre ans ? Rien et tout à la fois. C’est le temps que va durer pour elles l’écriture de leur journal intime. Entre 1940 et 1944. Rue Vanneau à Paris. De bonne naissance, elles ne vont pas vivre ce conflit dans son acception la plus effroyable. Brillantes, modernes, cultivées, elles abordent les événements avec un certain recul. Avec humour et ironie.
C’est un véritable ballet textuel auquel se livrent les deux comédiennes. Toutes deux sont formidables de légèreté, tout en fraicheur et désinvolture, incarnant ces inséparables frangines préoccupées davantage par leurs sens qui s’ouvrent à l’amour qu’à la menace qui gronde au loin. Cette légèreté, qui n’est bien sûr qu’apparente, tord l’axe temporel tel qu’on le trace communément quand on évoque cette période. La frivolité se charge non pas de déjouer les évènements dont on connaît tous la tragique fin mais elle les agrémente de folie.
Un grain de folie
Cette folie se traduit avant tout par une extrême drôlerie du texte. Les occasions de rire sont nombreuses, très nombreuses. Elles n’illustrent même pas cet adage qui veut qu’on puisse rire de tout car ce n’est pas là le propos. On ne fustige pas les angoisses mortelles à coup de désacralisation de la réalité tragique : on rit car c’est drôle, car les personnages vivent et disent des choses drôles comme elles en diraient en temps de paix, de catastrophe nucléaire ou d’inondations dévastatrices. Le verbe est parfois sulfureux, imprégné de sexe (le décor n’est autre que les chambres contiguës des frangines), de sarcasmes, de férocité. La vie, quoi !
Et si la réalité les rattrape inévitablement, elle claque alors avec toute la violence de la tragédie. Ce n’est qu’à ce prix que l’on peut rire. En sachant, comme souvent quand les événements ne sont guère propices à l’amusement, que le rire se fait urgent car on ne sait jamais ce que sera demain. L’Occupation, la Résistance, les exodes, les privations et bien sûr la Libération (avec des réflexions gratinées sur les libérateurs, manière de montrer qu’on n’est pas dupe malgré l’effervescence générale) scandent les propos de ces jeunes filles en fleur mais à l’exceptionnelle lucidité qui en fait deux féministes avant l’heure.
Franck BORTELLE (Paris)
Journal à quatre mains
De Flora et Benoîte Groult
Adaptation Lisa Schuster
Mise en scène : Panchika Velez assisté d’Aurélien Chaussade
Avec Aude Briant et Lisa Schuster
Scénographie : Claude Plet
Lumière : Pierre Jauze
Costumes : Marie-Christine Franc
Son : Michel Winogradoff
Théâtre de Poche, 75 Boulevard de Montparnasse, 75006 Paris (Métro : Montparnasse-Bienvenüe)
Du mardi au samedi à 21 heures. Dimanche à 15h30
Location : 01 45 48 92 97
Durée : 1h20
Photo Lot