Voyage en Sicile (Paris)

AMANDES AMÈRES ET CITRONS DE SICILE

Un spectacle au grand impact émotif, par deux pièces en un acte - L’homme à la fleur dans la bouche (1923) et Cédrats de Sicile (1910) - qui nous amènent dans une Sicile symbole d’un voyage universel à l’intérieur de la psychologie humaine et de la poétique pirandellienne.

L’homme à la fleur dans la bouche

Le rideau se lève sur un plateau nu et sombre. Une lumière faible éclaire deux personnages et leurs individualités : un tranquille client (Philippe Bombled), qui a raté le dernier train et doit attendre celui du matin suivant, et le gérant du bar de la gare (Jean-Claude Frissung) ; le premier passe oisivement les longues heures qu’il doit attendre, le second, avec peu de temps à vivre, ressent intensément les choses.

Dans un premier temps les deux personnages semblent s’équilibrer, un jeu statique laisse de la liberté de mouvement à une parole qui devient toujours plus pressante et qui se révélera bientôt un soliloque. Affecté par un épithélioma, qu’il décrit comme une fleur dans sa bouche, le second protagoniste affronte l’attente de la mort en s’accrochant à l’observation des petites choses, à des détails, des habitudes d’autrui insignifiantes en apparence, dont il cherche à comprendre les significations cachées et qui deviennent le symbole de la vie qui passe elle-même. L’homme aperçoit juste dans ces actions banales et quotidiennes le charme amer mais indestructible de  la vie et s’attache à elles dans une sorte d’annulation volontaire et rationnelle de sa propre existence.

La mise en scène de Jean-Yves Lazennec met bien en évidence la tragique solitude des personnages, qui ne permet pas une véritable communication : le protagoniste n’est pas vraiment intéressé par le dialogue, parler ne signifie pour lui que laisser flâner ses pensées et se libérer momentanément de toute angoisse morbide.

Cédrats de Sicile

Si la première pièce fait réfléchir sur le sens de la vie et sur l’aliénation de l’homme, Cédrats de Sicile vise les bons sentiments, grâce au jeu émouvant de Jean-Claude Frissung, qui exprime ici  le meilleur de ses capacités expressives, et d’une extraordinaire Chantal Deruaz, pointes de diamant d’un casting de bon niveau.

Le drame, l’un des premiers écrits par Pirandello, appartient à la « phase sicilienne » et exprime  le complexe d’isolement de cette terre, sa difficulté de faire partie intégrante d’une nation qu’elle appelle continent. Appartenant à la poétique vériste, le regard lucide de l’auteur tourne vers le rôle qui est imposé à l’individu, qui doit prendre conscience de sa relativité dans l’ensemble des relations sociales.  Ainsi, la rage de Micuccio, modeste joueur d’octavin dans la fanfare municipale d’un petit village, contre Teresina (interprétée par une convaincante Sophie Tellier) humble paysanne devenue une chanteuse qui a du succès, représente l’opposition entre l’innocence rurale et la corruption citadine et apporte aussi une réflexion sur les rapports humains aussi immuables et répétitifs que ne le sont les histoires humaines.

La mise en scène reste concentrée sur l'essentiel, s'appuyant sur peu d’objets,  se concentrant sur la psychologie des personnages et un message clé, la désillusion après l'espoir d'une nouvelle vie entamée par les deux protagonistes de l'histoire.

Cristina BARBATO (Paris)

Voyage en Sicile
Textes : L’uomo dal fiore in bocca et Lumie di Sicilia de Luigi Piandello
Traduction : Jean-Loup Rivière
Mise en scène : Jean-Yves Lazennec
Interprétation : Philippe Bombled, Chantal Deruaz, Jean-Claude Frissung, Christian Peythieu , Sophie Tellier
Scénographie : Philippe Marioge
Costumes :Mariane Delayre, Agnès Marillier
Coproduction : Théâtre d’Arras, Cie Théâtre Mains d’Œuvres, Abraxas Concepts, avec le soutien de l’ADAMI, le soutien pour la réalisation du décor du Théâtre de la Manufacture CDN Nancy-Lorraine et la participation artistique du Jeune Théâtre National

Au Théâtre Athénée-Louis Jouvet du 7 au 28 février 2008.

Photo © Philippe Delacroix