AIDER LABROSSE À RELUIRE DANS LA VIEComme toujours, la québécoise Carole Fréchette frappe fort ; avec une intrigue décontenançante où le comique le dispute au tragique, une thématique liée à la désespérance, voire ici la déchéance sociale liée à la perte d'emploi, et des personnages simples et sans fard qui essaient de tisser du lien entre eux, sans vraiment y parvenir.Simon Labrosse est au chômage. Le libéralisme à la sauce nord-américaine y conduit-il ? En tout cas, tout imprégné de culture anglo-saxonne, Labrosse ne compte pas se lisser le poil de la main mais plutôt prendre en ladite main son destin. Carole Fréchette n'est pas Ken Loach. Au lieu de se lamenter sur son sort, Simon se grave un sourire Ultrabrite, débride son imagination et, flanqué de deux comparses, qui lui sont aussi utiles qu'un frigo à un esquimau, l'une obsédée par son bien-être, l'autre moisi sur le sort de l'humanité, il part à la rencontre des gens (et du public) pour leur proposer mille et un services superflus mais tellement nécessaires. Il invente des métiers farfelus et improbables dont les intitulés ne déplairaient pas à un Ribes (rappelons-nous du bureau de change pour changer d'opinion) ou au regretté Devos : flatteur d'ego, finisseur de phrases ou allégeur de conscience...
Au passage, des pistes de réflexion. Comment combler son vide en comblant celui des autres ? Peut-on changer sa vie à défaut de changer la vie ? Un être humain, ça vaut quoi ? Le métier de "spectateur personnel" est ainsi d'une fracassante lucidité sur le sens que nous donnons à notre existence. Simon propose une thérapie qui consiste à regarder l'autre cinq minutes pour lui donner le sentiment d'exister et d'avoir une quelconque importance dans un monde où l'humain prend une importance quelconque. Comment trouver sa place dans la société quand
"il pleut des briques sur le monde pourri.", valoriser ses compétences, se vendre, concilier estime de soi et activité sociale, ne pas accepter le défaitisme, trouver la force de se battre ? Telles sont les questions posées par ce texte dont seules les apparences sont légères, car il y a du Chaplin chez Fréchette, qui avec une économie de mots, des ellipses de pensées et des personnages poignants, tendres et habités, parvient à toucher notre esprit et notre coeur au plus loin et au plus juste.
L'arme extrême au bout de la déréliction, quand tout semble perdu, c'est jouer sa vie, pour ne pas jouer
avec sa vie, c'est donner son énergie, ainsi, quand il ne reste plus rien, il reste quand même cela. D'ailleurs, c'est en sept jours que Simon, cet être de souffrance, va tenter de voir, dans un ultime sursaut ce qui lui reste de sa force vitale au bénéfice des autres et de lui-même ; pour se sauver lui-même ou pour sauver les autres... ?
Les trois comédiens, de qualité, ont compris la subtilité de leurs personnages et donnent de la hauteur au fond et du punch à la forme.
Yves Chenevoy, indécrottable optimiste, costume au ton verdâtre, affiche continument un large sourire immaculé, comme figé dans un masque de Commedia dell'arte, aveu de la nécessité dans laquelle il est tenu de toujours faire bonne figure, un Simon qui fait en quelque sorte de la résistance à la morosité.
Patrick d'Assumçao, lexicopathologique butant sur les mots à connotation positive, est épatant de désespoir résigné.
Claudie Arif campe une Nathalie primesautière, fort charmante, fragile, perpétuelle hébétée aux préoccupations égocentrées, au rang desquelles son épanouissement orgasmique.
La mise en espace incursive de Charlotte Blanchard et Yves Chenevoy, prend le public à témoin, jamais à parti, et nous alerte sur la vigilance à avoir pour notre avenir micro-économique, la conscience nécessaire de soi et des autres ; sans verser des jérémiades de mendiant, Simon (ou Pierre dans la Bible), créateur d'humanité, récréateur de l'humanité, se donne du mal pour faire le bien des autres en faisant le sien, et inversement. Il parvient au moins à faire en sept jours le tour du monde - à défaut de le refaire - de ce qui fait notre force à tous, et qui est aussi la source de toutes nos faiblesses : nous-mêmes et nos efforts désespérés pour être aimés.
Stephen BUNARD
www.ruedutheatre.info
Les Sept jours de Simon Labrosse, de Carole Fréchette
Mise en scène : Charlotte Blanchard et Yves Chenevoy
Scnéographie : Denis Busson
Avec : Yves Chenevoy, Claudie Arif, Patrick d'Assumçao
Avignon Festival Off - Théâtre Palace à 18h - du 6 au 30 juillet - durée : 1h15