Pas étonnant que Dominique Surmais, après avoir monté Intérieur de Maeterlinck, ait désiré s’attaquer à la pièce de Jon Fosse. En effet, il y a des analogies entre la façon dont le symboliste belge traitait ses dialogues, ses personnages, ses atmosphères et le texte de cette pièce d’un Norvégien contemporain.
Le décor met le public dans le cadre. De la blancheur, quasi glaciale, par l’intermédiaire d’écrans géants qui découpent l’espace au scalpel. S’y projetteront des lueurs indéfinies, lumières de voitures qui défilent ou éclats d’un phare hélant des navires. À moins qu’il ne s’agisse de fleurs de givre, voire de papillons venant se brûler à quelque flamme. S’y incrusteront vers la fin les photos de famille qui disent le parcours d’un clan. Quelques objets familiers meublent parcimonieusement le reste du plateau.
Dans cet espace clos - qui laisse néanmoins percevoir des lieux virtuels ouverts sur un indéterminable ailleurs – un couple s’installe. Il est là pour prendre possession de l’habitation qu’il vient d’acquérir en vue d’abriter son amour. L’homme et la femme débarquent au sein d’un univers étranger étrange. Il leur faudra apprivoiser ce nouveau territoire dans lequel ils aspirent à s’exclure du monde. Une présence indéfinissable pèse sur les lieux. Un malaise prend corps. Il se concrétise en la personne de l’ancien propriétaire, celui qui a vécu ici et a assisté à l’agonie de sa grand-mère. Le souvenir des occupants précédents s’insinue entre les amoureux. L’apparition de l’ex-occupant trouble les nouveaux venus.
Un langage tramé
Les mots disent. Les mots taisent. Les silences pèsent. Les silences parlent. Les phrases ressassent. Elles se tissent en denses magmas de paroles, compactes et cependant transparentes. Elles insistent, enlisent le temps. Se croisent avec des sens en train de se décaler, de laisser place aux sous-entendus, aux allusions, aux équivoques, à l’indicible parce que ‘indisable’. Sont prononcées avec détachement, lenteur, tension intérieure. Inutile de chercher des méandres psychologiques. Déceler la jalousie, la suspicion, le désir n’explique pas la pièce, ni son charme trouble.
Comme autrefois chez Maeterlinck, plus récemment chez Beckett et peut-être chez Sarraute, le langage est le protagoniste capital. Autour de lui s’agencent les actes ; de lui naissent les malentendus ; en lui gît une musique qui taraude par sa rumination, que ponctue une lancinante chanson.
Pas facile pour Jérôme Baëlen, Carmelo Carpenito et Magdaléna Mathieu de s’installer à la fois dans la banalité apparente des propos et l’inquiétude latente qu’ils véhiculent. Ils n’arrivent d’ailleurs pas toujours à dépasser l’artifice imposé par une diction à la limite de la neutralité. Subsiste, après avoir quitté la salle, un désarroi qui tient aux œuvres dont l’écoute ne suffit pas à épuiser la signification.
Quelqu’un va venir
Texte : Jon Fosse (éd. L’Arche, 1999)
Distribution: Jérôme Baëlen, Carmelo Carpenito, Magdaléna Mathieu
Lumières: Thierry Dubief
Son et vidéo: Laurent Doizelet
Production : TDC
Au Salon de Théâtre à Tourcoing, du 11 au 14 janvier ; à l’Antre 2 de Lille du 17 au 24 janvier.
Bio de Jon Fosse :
Né en 1959 à Haugesund, un petit bourg proche de Bergen, sur la côte Ouest de la Norvège, Jon Fosse s'impose d'abord en littérature par une trentaine de romans, récits, essais, recueil de poèmes et livres pour enfants. Sa première pièce, écrite à l'instigation du jeune metteur en scène Kai Johnsen, date de 1994 (Et jamais nous ne nous séparerons). Suivent plusieurs pièces dont Le Nom (1995), Quelqu'un va venir, créé au Norske Teatret d'Oslo en 1996, et L'Enfant, créé au Théâtre National d'Oslo en 1997. Il obtient le prix Ibsen en 1996. Comme celle de son immense devancier Henrik Ibsen auquel il a consacré un essai, toute son oeuvre se développe en tension entre l'intimité du «hom», le foyer scandinave, et l'inquiétante immensité du fjord au bord duquel il a grandi.
Source : www.theatre-contemporain.net