16 novembre 2006
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Eric Lacascade met en scène la pièce de Gorki. Celle-ci se donne à voir sous la forme d’une grande fresque populaire volcanique et luxuriante au cœur de laquelle les êtres déchaînés interrogent leur part d’animalité.
La pièce commence dans la pénombre. Un homme dans un coin fredonne accompagné d’une guitare, des airs aux accents faux. Si la scène parait au premier abord comique par la transgression temporelle des airs choisis et leur traduction français/anglais, on s’aperçoit vite que ce personnage risible n’est autre, en fait, que le mendiant. Ce rejeton du village qui sera bientôt mis au bout d’une laisse. Le rire est alors bien cruel et annonce la noirceur du propos et la bassesse des instincts humains qui vont se dessiner. Pourtant, dès les premières minutes, la bière coule à flots, les habitants survoltés et gouailleurs palabrent à propos des ingénieurs qui vont arriver afin de construire le chemin de fer. A ce moment, ils parlent de tout et de rien, rient avec insouciance n’imaginant pas quelles vont être les conséquences de cette intrusion étrangère dans leur communauté où les jours s’écoulent sans surprises.
Photo © Christophe Raynaud de Lage
Trois heures plus tard, la fin de la pièce s’ébauchera laissant le village pillé et déshumanisé où n’erreront que des êtres déchirés aux sentiments en lambeaux. Le monde archaïque et sans éclat des petites gens va se confronter à la verve arrogante et provocante des ingénieurs. Leur rencontre violente évolue sur fond de viles passions, mensonges, mesquineries et abus de pouvoir. Les intrigues, multiples, se nouent, se dénouent, se chevauchent mêlant l’intime au social et faisant voler en éclats les apparences. Au final la barbarie est partout. Les ingénieurs, porteurs de progrès, perdent au fil de la pièce leur belle supériorité au contact des villageois, révélant des failles et la vulgarité de leurs âmes perdues. Quant au petit village il se retrouve à jamais exsangue et sans retour en arrière possible.
Humour noir
Les Barbares, écrit en 1905 par Gorki offre des répliques cinglantes à l’humour noir omniprésent. Sans concessions, la pièce montre que la grossièreté et les vils instincts ne sont pas l’apanage de ceux qui sont en marge. Par sa mise en scène voluptueuse et agitée, Eric Lacascade donne à la pièce des accents baroques. L’esthétique colorée et raffinée des tableaux n’oublie pas de jeter sur scène la vulgarité des personnages qui se délectent bruyamment des plaisirs de la vie. Le parti pris de moderniser, très présent dans le choix des musiques, est étonnant et sert à brouiller le contexte. L’occupation de la scène dans son ensemble, en profondeur comme en verticalité et le soin apporté aux mouvements des comédiens témoignent des effets chorégraphiques recherchés. Le banquet dessiné sous forme de ballet, les guirlandes de lampions qui s’élèvent en apesanteur dans le ciel ou bien encore les fleurs qui se piquent dans le sol sont comme des touches de légèreté et de grâce. Quant aux comédiens, ils insufflent leur énergie et leur conviction à la pièce se confondant naturellement avec leurs rôles.
Les Barbares est une fresque vivante et voluptueuse où la vie se déchire, révélant une condition humaine pétrie d’instincts premiers.
Anne CLAUSSE (Toulouse)
Les Barbares, de Maxime Gorki
Adaptation et mise en scène Eric Lacascade
Adaptation d’après la traduction d’André Markowicz © éditions Les Solitaires Intempestifs
Avec : Jérôme Bidaux, Jean Boissery, Gaëlle Camus, Arnaud Churin, Arnaud Chéron , Gilles Defacque, Alain D’Haeyer, Pascal Dickens, Frédérique Duchêne, David Fauvel, Christophe Grégoire, Stéphane Jais, Eric Lacascade, Christelle Legroux , Daria Lippi, Millaray Lobos, Grégori Miege, Arzela Prunennec, Maud Rayer, Virginie Vaillant
Théâtre National de Toulouse 1 rue Pierre Baudis Tarifs : 20/12/8
Contacts : Tél: 05 34 45 05 05
Du 7 au 11 novembre puis en tournée.
Le spectacle a été vu à Toulouse par Anne Clausse, vous pouvez lire aussi la critique de Agnès Grossmann, publliée pendant le Festival d'Avignon In 2006.