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Mois AprÈS Mois

Festival d'Avignon

16 juillet 2008 3 16 /07 /juillet /2008 14:58

À ROME COMME SI VOUS Y ÉTIEZ

Les Tragédies romaines mises en scène par Ivo Von Hove regroupent trois pièces de Shakespeare, « Coriolan », « Jules César » et « Antoine et Cléopâtre ». Des œuvres majeures, données en hollandais, qui traitent de la lutte pour le pouvoir et revisitent une histoire faite de bruit et de fureur.


On hésite, en pénétrant dans le gymnase Gérard Philipe, à caractériser la scène que l’on découvre. S’agit-il d’un centre commercial, des bureaux d’une grande entreprise, d’un studio de télévision… Des banquettes sont là, disposées en labyrinthe, partout des écrans d’ordinateurs, de vidéo, des panneaux lumineux, des enseignes de divers commerces. En passant, on nous apprend que les spectateurs peuvent pénétrer dans l’aire de jeu, se mêler aux acteurs et, lors de pauses imposées par les changements de décor, se restaurer. C’est que le spectacle est comme diffracté sur tous les écrans où l’on peut en découvrir de multiples fragments filmés en direct. Toutes les nouvelles technologies sont ainsi convoquées, condensées dans le temps et l’espace de cette prolifération de l’image et du commentaire qui sont notre lot quotidien. Les héros shakespeariens s’affrontent dans débats dignes des plus âpres confrontations de nos campagnes électorales. Ils sont encore interviewés par des journalistes à peine impressionnés par leurs invités légendaires. Quelques flashes d’information nous renseignent sur les épisodes de conflits qui opposèrent les Volsques aux Romains, César à Pompée, Octave à Antoine. Sans oublier, obstacle linguistique oblige, les sous-titres en français. Ici et là, on peut encore découvrir des reportages sur la guerre d’Irak, sur le Président Kennedy ou sur les exploits de Laure Manaudou : métaphores d’une éternelle soif de conquête, aiguisée par les séductions trompeuses de la compétition, de la guerre. Tous ces moyens déployés pour nous captiver, j’allais dire nous capturer, déroutent d’abord, et le regard s’y égare. Progressivement, pourtant, l’œil choisit sa focale, l’esprit sa quête préférée : pour les acteurs qui s’activent sur le plateau ou pour l’un des divers miroirs de ce kaléidoscope scénique.




Des temps déraisonnables


Lorsqu’on lui demande pourquoi il a choisi de monter ces trois tragédies dans la continuité, Ivo Van Hove répond : « Parce qu’il était nécessaire pour moi de faire un grand spectacle sur la politique et plus particulièrement sur des mécanismes qui produisent du politique. » On est en effet frappé par la similitude des enjeux qui traversent ces trois pièces. Une même volonté de puissance, une semblable libido jungienne, anime les principaux protagonistes des drames présentés. Elle justifie aussi des violences dont les traces sont comme les stigmates d’un insigne mérite. « Il aura de belles cicatrices à montrer au Sénat quand il briguera le Consulat » déclare, naïvement, la mère de Coriolan. Le spectacle nous entraîne ainsi dans la confusion et les convulsions d’une histoire romaine, contée ici comme une sorte d’immense saga qui court au long des siècles. Étrangement chacun des dénouements tragiques de ces crises qui secouent le pays, est comme la prémonition de ceux qui sont à venir et les héros semblent, en accomplissant leur destin, se baigner chaque fois dans le même sang. De son côté, l’utilisation des nouvelles technologies nous constitue en contemporains essentiels de ces récits, vivant dans un temps arasé qui inscrit l’épopée dans une troublante actualité.

 

Reste le verbe shakespearien. Il s’impose, en dépit de cette sollicitation constante de nos sens. Il triomphe même dans le fameux discours de Marc Antoine, lors des funérailles de César. Un texte, proféré, il est vrai, par un remarquable comédien, et spontanément applaudi par le public. Il faut également rendre hommage à tous les autres acteurs qui déambulent naturellement dans les divers lieux d’une scène vouée à une sorte d’ubiquité. Miracle du théâtre, ces personnages habillés en austères P.D.G. ou en secrétaires de direction restent terriblement romains… Et ces tragédies romaines toujours aussi universelles.

 

Yoland SIMON

 

Tragédies romaines.

Mise en scène Ivo van Hove

avec Barry Atsma, Jacob Derwig, Renée Fokker, Fred Goessens, Janni Goslinga, Mariek Heebink, Fedja van Huêt, hans Kesting, Hugo Koolschijn, Hadewych Minis, Chis Nietvelt, Frieda Pittoors, Alwin Pullinckx, Eelco Smits, Karina Smulders

Musiciens Ward Deketelaere, Yves Goemaere, Hannes Nieuwlaet, Christiaan Saris, Mattijs Vanderleen

Traduction Tom Kleijn

Dramaturgie Bart Van den Eynde, Jan Peter Gerrits, Alexander Schreuder

Musique Eric Sleichim

Costumes Lies Van Assche

Scénographie et lumières Jan Wersweyveld

Vidéos Tal Yarden

Assistant à la mise en scène Matthias Mooij

Assistant scénographie Ramon Huijbrechts

Assistant à la musique Ief Spincemaille

Directeur technique Götz Scwörer

Après le festival d’Avignon les Tragédies romaines seront données, les 23 et 24 août, au theaterfestival Vlaaderen d’Anvers, les 5 et 6 septembre au theaterfestival Nederland d’Amsterdam.

 

Photo © christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon

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15 juillet 2008 2 15 /07 /juillet /2008 18:31

« L’ENFER » DE CASTELLUCCI OUVRE LE FESTIVAL DANS UNE RELATIVE INDIFFERENCE EN ITALIE

Au Palais des Papes, Romeo Castellucci, l’artiste italien qui guide cette édition du Festival d’Avignon, met en scène l’Enfer de Dante, dans la frénésie de la ville provençale, en passant presque sous silence dans son pays d’origine. Le quotidien La Repubblica dédie un article au premier spectacle de la manifestation, salué par le public comme un véritable triomphe.

Le 10 juillet 2008. Romeo Castellucci ouvre la soixante-deuxième édition du Festival d’Avignon. Nommé « artiste associé » - avec l’actrice Valérie Dréville - par les directeurs Vincent Baudriller et Hortense Archambaud, il va influencer toute la manifestation avec son savoir-faire et ses idées artistiques.
Le cas de l’auteur italien est particulier: comme le souligne Franco Quadri dans un article paru dans La Repubblica le 11 juillet dernier, le créateur et metteur en scène de la Societas Raffaello Sanzio a été toujours regardé avec suspect par les principaux théâtres italiens, tandis qu’en France, et surtout dans la ville d’Avignon, il est tenu en grand compte, étant un habitué du festival provençal depuis le 1998.
Ayant la possibilité de s’exprimer sur un projet artistique vaste et développé sur plusieurs journées, Castellucci a décidé de proposer un cycle de trois spectacles inspirés par la Divine Comédie de Dante. Le premier à prendre naissance sur le plateau du Palais des Papes a été l’Enfer, qui a remporté à sa première un véritable triomphe.
Le quotidien La Repubblica, le seul journal à suivre la manifestation dès son commencement, pose l’accent sur le metteur en scène, toujours provocateur et hors des schémas. Franco Quadri explique en effet qu’il est évident que Castellucci a accepté la charge de proposer des créations dans le lieu symbolique du Palais des Papes exactement pour violer de sa présence l’architecture autoritaire et sublime de cet édifice, qui fut bâti à l’époque de Dante, par les papes rebelles condamnés par le poète lui-même. C’est ainsi que tout le spectacle se joue sous le signe de la provocation : Castellucci se montre au public presque nu, sort à quatre pattes en laissant la place à un homme qui, avec ses seules mains, escalade la lisse et haute façade du Palais ou encore en mettant en scène des objets qui tombent avec violence, des machines qui brulent…
On peut apercevoir dans le spectacle une sorte de dédicace à Andy Warhol, qui, selon les mots de Quadri, est le « pontife des années Soixante, à mi chemin entre Virgile et Lucifers » en se faisant « guide aux abîmes de la superficialité que lui-même avait découverts et qu’il fait revivre à travers la superbe musicalité de Scott Gibbons ».
Le critique  décrit finalement l’atmosphère de la soirée : le public la bouche ouverte, son attentive et joyeuse participation au spectacle, l’air de frénésie et la vitalité désordonnée qui entourent cette manifestation qui a peu de visibilité en Italie. Aimé ou détesté, grâce à Romeo Castellucci un souffle de Festival arrive de l’autre coté des Alpes.


Cristina BARBATO
 
Titre originel : « Le triomphe de Dante dans le Palais des Papes, salué par les Français » dans « La Repubblica » du 10/07/2008, page 50 section spectacles.
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15 juillet 2008 2 15 /07 /juillet /2008 18:27

UN ACCUEIL MITIGE POUR UNE VERSION ESSOUFLEE

« Partage de Midi » semble ne pas avoir trouvé son public. C’est le moins qu’on puisse dire et ce n’est pas faute d’avoir cherché. Hélas, on ne refait pas l’histoire. La messe est dite. Il en découle un jugement protéiforme porté ça et là par une critique française majoritairement déçue, qui cherche évasion, s’ennuie, les yeux tournés vers le ciel.  Au final, il semble qu’une lueur d’espoir ait été convoquée pour tempérer le propos.

Si de prime abord, on décrit dans le quotidien Les Echos (édition du 8.07) un projet ambitieux signé de la main de quatre comédiens impliqués dans la mise en scène, c’est peut-être dans sa conception que la pièce, jouée dans la magnifique carrière de Boulbon, a le plus désappointé. Car cette œuvre collective dirigée par Valérie Dréville, artiste associée à cette édition du festival, Nicolas Bouchaud, Jean-François Sivadier et Gaël Baron, s’est avérée être une expérience « peu convaincante ». C’est avec cette dureté de ton que Gilles Costaz place toute sa déconvenue dans une critique publiée dans Les Echos. Et il ne changera pas d’avis. S’il reconnaît que « les comédiens échouent avec les honneurs de la guerre car ils ont tous de merveilleux moments », il portera un verdict toujours composite : « Nicolas Bouchaud est d'une grande puissance mais il est uniforme en furieux Amalric. Valérie Dréville possède une rare force d'actrice, mais elle se trompe en vulgarisant sa diction, en lui donnant des accents populaires, qu'elle abandonne heureusement dans le dernier acte… »
Puis il le dit tout net : « l'expérience n'est pas concluante. Les talents de chacun coexistent au lieu de s'entremêler, l'unité d'une vision globale n'est jamais trouvée. »
Une fois les comédiens passés sous les fourches caudines de Gilles Costaz, « le paquebot claudélien va jusqu'au bout de sa traversée, mais tant de roulis donnent le mal de mer. » Voilà qui laisse un peu barbouillé.

Le quotidien Libération (édition du 7.07) ne sera pas plus enchanté, il titre quant à lui « Basculement » comme pour mieux signifier « Ennui ». Sans accuser, il évalue : « Au ciel, deux ballons noirs et un rouge sondent la météorologie d’âmes ballottées dans une tempête de mots et sentiments contraires. Ces éléments de décor forment le pôle d’harmonie d’un spectacle qui semble mettre un point d’honneur à ne pas trop séduire. » Mais le critique René Solis doute sur la compréhension par le public de la mise en scène et avoue : « on croit comprendre le souci qui les a animés. S’en tenir à la sauvagerie des choses. » Tiraillé, il s’interroge sur le ton donné à la pièce par les comédiens : « est-il pour autant nécessaire de crier pour faire entendre le cri ? »

Dans le quotidien Le Monde (édition du 5.07), la critique Brigitte Salino ne trouve pas d’excuse à cette interprétation. La journaliste décrit « la déception » qu’a été pour elle et le public la représentation. Le titre de sa critique évoque à lui seul son point de vue : « un Partage de Midi désincarné ».  Elle ironise : « les dieux du théâtre n'ont pas répondu. Le public non plus : le spectacle fini, il a à peine applaudi, puis s'est éclipsé. » Le tableau le plus acéré reviendra à la mise en scène : « C'est là que le projet de Partage de midi trouve sa limite. Il y a quatre acteurs qui jouent, et une pièce qui part dans tous les sens sans que l'on sache ce qu'on veut nous dire. » Brigitte Salino se borne ensuite à reprendre le cours de l’histoire vécue par Paul Claudel puis pose une conclusion esquissée sur un projet non abouti : « Les acteurs n'incarnent pas les personnages, ils jouent des idées sur les personnages, qui se côtoient sans s'assembler sur un plateau posé sur du sable, joliment éclairé, dans le deuxième acte - le meilleur de la soirée - par des lampes suspendues à des ballons invisibles dans la nuit de la carrière. »

Deux autres avis viendront légèrement nuancer ce propos, à commencer par Marion Thébaud dans Le Figaro (édition du 7.07) qui juge que « Claudel ressuscite le théâtre à Avignon ». La critique souligne une prise de risque des comédiens, qui selon elle : « saisi par leur parti pris ». Elle dissèque chaque rôle et aperçoit « des acteurs solides, qui ne craignent ni dieu ni diable. »
Si une partie de la représentation connaît « un passage à vide » convient-elle, il faut retenir de ce spectacle « un quatuor exemplaire dans une première partie qui affronte Claudel avec rage et talent. »

Le quotidien L’Humanité (édition du 7.07) reste le seul à éprouver un engouement pour cette création en décidant qu’il s’agit là d’« un valeureux théâtre à poing nus ». C’est sous la signature de Jean-Pierre Léonardini que l’on a pu lire : « Cela ne pouvait mieux commencer…avec la sorte de grandeur et d’appel vers le haut que prodigue Partage de midi, de Paul Claudel, dans une prodigieuse réalisation, fruit de l’ajustement en commun d’énergies d’exception. » Et pour appuyer son propos, il adjoint encore : « Ce n’est pas tous les jours qu’on se sent à ce point soulevé d’enthousiasme profond. Cela vient de ce qu’il s’agit là d’un théâtre nu et cru ». Au final, il parle « d’un spectacle d’une cardinale rareté », qu’il semble seul à avoir vu.

Quant à la presse francophone, elle a pour l’heure passé sous silence tout commentaire de la pièce jouée à Avignon depuis près d’une semaine. Pure coïncidence ou « possibilité d’une île au milieu du temps* »  ? Allez donc savoir.

Christelle ZAMORA


* Carla Bruni
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15 juillet 2008 2 15 /07 /juillet /2008 09:21

LES SECRETS DE LE GUILLERN

Circassien atypique, Johan Le Guillerm reprend actuellement « Secret », son spectacle de dompteur d’objets, sous chapiteau dans la cour du lycée Mistral. Ce savant poète (comme on dit savant fou) s’est créé un univers d’une implacable logique irrationnelle. Il en donne à voir les travaux expérimentaux.

Guidée par des vidéos explicatives, la visite de ce « cirque mental » réserve des surprises. La première est de taille. Il s’agit d’une motte herbeuse géante qui suit, mue par une mystérieuse énergie interne, un circuit établi par les déplacements inhérents à sa forme. En effet, frotter deux galets l’un contre l’autre finit par provoquer des usures, des déformations, lesquelles engendrent, lorsqu’on fait rouler la pierre, des itinéraires à géométrie variable, les « circumambulations », preuve que les objets peuvent avoir une sorte de mémoire du chemin. 

Le reste est à l’avenant. Voici des alphabets inédits. Ils s’élaborent à partir d’agencements multiples de segments d’une circonférence. D’autres se déclinent via la transformation plane d’un parcours dessiné ou gravé en trois dimensions sur des fruits. D’où des graphes singuliers, complémentaires. Ils donnent naissance à une bibliothèque consultable de livres en bois, manipulables, supports inépuisables en vue d’infinies combinaisons.

Les métamorphoses d’élastiques s’avèrent d’une sidérante simplicité, d’une inventivité perpétuelle. À partir du principe de la diffusion des virus et du désir de métamorphoser ce qu’on voit en autre chose sans modifier la matière du support, il suffit de prendre des élastiques très communs, de modifier leur géométrie apparente et d’obtenir alors une infinité de signes susceptibles d’inventer des mots, des phrases en langage purement visuel. 

L’incroyable est toujours vrai


Tel livre est infermable car on en tourne les pages sans jamais arriver à sa fin. Tel globe de verre reprend le reflet des lampes suspendues dans la pièce pour insérer des constellations à l’intérieur de ce qu’il contient. Des sphères tournent en tous sens dans des maquettes de cosmos pour petits et grands enfants en quête de ludique. Des musiques se déclenchent au passage des visiteurs. Des pommes de pin ont dessiné des poèmes. Sans oublier cet échafaudage de planches à la Kawamata, semblable à celui qui défie les lois de l’équilibre dans « Secret ».

Entrez, entrez, mesdames, messieurs, le spectacle est permanent, le spectacle est continuel. Faites-y vos propres numéros de poètes des choses ! faites-y votre cirque intérieur ! Vous voici devenus des nomades de l’imaginaire.

Michel VOITURIER



Monstration & La Motte
Création : Johann Le Guillerm
Créations sonores : Mathieu Werchowski, Guy Alaguin
Lumières : Hervé Gary
Vidéos : Stéphane Metge

À la Miroiterie, 3 route de Lyon, de 10 à 19h jusqu’au 26 juillet.

Du 12 au 20 décembre 2008 à l’Entre-Fort de Furies (Châlons-en-Champagne) ; du 3 au 23 octobre 2009 au cirque Jules Verne (Amiens)


Photo © ………………………………………………
 


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15 juillet 2008 2 15 /07 /juillet /2008 09:05

Après Inferno dans la cour d’honneur, Romeo Castellucci poursuit son voyage dans l’œuvre de Dante.

Précipiter le Purgatoire sur une scène de théâtre

Lors d’une répétition publique à Senigallia, station balnéaire de la côte Adriatique où eurent lieu les répétitions en juin, une spectatrice s’était inquiétée de la suite des évènements : « si c’est ça le purgatoire, qu’est-ce que ça va être l’enfer… » La version du Purgatoire de Romeo Castellucci est en effet d’une violence insoutenable, elle raconte l’histoire d’un inceste dans une famille bourgeoise. D’ordinaire le metteur en scène italien représente une forme de théâtre qui peut être vécu comme une menace pour le théâtre de texte, son Purgatorio pourtant fait entendre un texte, et une forme quasi classique : personnages (le père, la mère, l’enfant), dialogues, décor réaliste. Cependant ce n’est pas une adaptation : « Je veux lire, relire, dilater, marteler et étudier à fond La Divine Comédie pour pouvoir l’oublier, la précipiter sur la terre d’une scène de théâtre… Ce Purgatoire est un « canto della terra », matériel et concret. L’homme devient un être curieux, sans cesse arrêté par le concret des choses et des objets. Les personnages font l’expérience du corps banal, des retrouvailles avec les matières de la vie. Ils se savent condamnés à errer parmi la réalité. C’est donc une expérience de la lucidité qui dérange, fait peur, comme si les sensations et les corps se dissolvaient dans la matière. Le dispositif scénique donne un grand rôle aux objets. C’est le moment le plus complexe, car il faut trouver un dispositif où apparaît très nettement le jeu du théâtre. »



Ouvre la bouche, ouvre ta putain de bouche !

Les personnages de la pièce se fondent dans ce grand décor d’objets : canapé, table, meubles, lit, chaises, frigo, plantes, télé, tout est reconstitué. La représentation emprunte ses formes à l’opéra (décor réaliste monumental), le cinéma (cinémascope et micros HF) et la machinerie théâtrale (changement de décor construit comme une boîte, jeux de cintre…). Une mère prépare à manger à son fils. L’enfant refuse de manger car il a mal à la tête, il va regarder la télé dans sa chambre. Le père rentre du travail, il est fatigué et raconte sa journée d’un air las. Des dialogues insignifiants entre le mari et la femme renforcent l’ennui et la banalité de leur vie quotidienne. Une inquiétude vient se glisser dans ce réalisme et l’envahit. Puis c’est la scène de l’inceste. On entend juste des bruits, des cris, des souffles : « ouvre la bouche, ouvre ta putain de bouche! ». On est seuls face à la scène vide pendant environ 5 minutes. Après le viol, le père redescend l’escalier dans la pénombre. Lors de la deuxième représentation, un spectateur a crié à l’acteur, violemment : alors, c’était bien ? L’acteur a continué à jouer. L’enfant s’est glissé derrière lui, comme tous les soirs, et s’est appuyé contre son épaule. «Je voulais parler de la force invincible du pardon. L’insupportable, c’est que la victime puisse pardonner au bourreau. » La deuxième partie du spectacle ressemble davantage aux visions oniriques de la Raffaello Sanzio : on voit à travers un écran - oeil circulaire un ballet de fleurs gigantesques sur un ciel orageux (on dirait une bataille d’Uccello) puis une chorégraphie qui bouscule les rôles : un grand et mince danseur prend la place de l’enfant en culotte courte, un acteur handicapé celle du père. Le choc est violent, la gêne des spectateurs est palpable, elle renforce des réactions très distinctes. Il y a ceux qui souhaitent fuir ce cauchemar au plus vite et ceux qui debout  participent longuement à la standing- ovation médusée…

Matthieu MEVEL (Avignon)

Purgatorio  se joue tous les jours à 18h à Châteaublanc, au parc des expositions, jusqu’au 19 juillet. Relâche le 13.
Avec Irena Radmanovic, Pier Paolo Zimmermann, Sergio Scarlatella, Juri Roverato, Davide Savorani

Romeo Castellucci (texte, mise en scène, scénographie, lumières et costumes)
Scott Gibbons (musique)
Giacomo Strada (collaboration artistique)
Cindy Van Acker (chorégraphie)
Istvan Zimmermann et Giovanna Amoroso (sculptures, mécanismes)
Guiseppe Contini (automates)
Zapruder filmmakersgroup (images)
Production : Le Maillon, Le Théâtre - scène nationale de Poitiers, Kunsten Festival des Arts, Opéra de Dijon, Vilnius International Theatre Festival Sirenos, Vilnius, Emilia Romagna Teatro Fondazione, Barbicanbite09, Tokyo International Arts Festival, Napoli Teatro Festival Italia, Spill Festival, UCLA Live, Athens Epidaurus Festival, Nam June Paik Art Center, Cankarjev dom, Festival d'Avignon, Festival La Bâtie, Théâtre deSingel, Societas Raffaello Sanzio
Photo © Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon
 



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11 juillet 2008 5 11 /07 /juillet /2008 09:46

MYTHOLOGIE DU DÉRISOIRE

Offrir quatre versions du « Prélude pour l’après-midi d’un faune » de Debussy était une piquante idée. Pour Olivier Dubois, elle devient image dérisoire du fétichisme, porteuse d’ambiguïté narrative autant qu’esthétique.

Dur, dur d’être faune aujourd’hui ! Porter son regard chargé de désir sur des corps de jeunes hommes ou de jeunes femmes  porte à suspicion. Fini les galopades en forêts à la poursuite de nymphes en tenue légère. Il y a désormais des garde chasses. Alors qui s’avise de réincarner la bonne vieille mythologie doit se méfier de tout y compris de lui-même.

La soirée commence bien. Le cinéma reste un médium réaliste susceptible de mystère et de poésie. Le court métrage de Christophe Honoré montre avec une tendresse certaine un prédateur contemporain complexé, obsédé, ridiculisé par sa difficulté à passer à l’acte. Dérisoire parce que soumis aux quolibets et finissant par se satisfaire lui-même sur un tee-shirt récupéré.

Ensuite, voici la reconstitution du ballet célèbre monté par Nijinski en 1912. L’intérêt historique de cette chorégraphie, reprise par Dominique Brun, montre terriblement l’évolution du ballet depuis cette époque où imiter les fresques égyptiennes était à la mode. Du coup, on retombe dans le dérisoire puisque, outre la chute volontaire du décor, l’aspect révolutionnaire du temps de l’art nouveau paraît aujourd’hui caricatural, voire grotesque. Même lorsque Dubois réitère sur un élément du costume d’une ballerine sa masturbation solitaire.

Le volet trois embraie à fond sur le dérisoire, faisant appel aussi bien à des musiques de Xavier Boussiron que de Franck Alamo. L’ironie fonctionne à plein grâce à un chasseur tyrolien émettant des borborygmes de plus en plus virulents à travers un cor électrifié, dont le ridicule finit par devenir pathétique, avant de finir en cloaque.

Enfin, Olivier Dubois, nu sous une peau de bête, s’embarque dans une chorégraphie symbolique. Affublé de masques, il finit par rassembler une pelisse immense qu’il traîne avant d’en jouir. Sans pour autant vraiment convaincre. Il aurait pu aller jusqu’au bout d’un humour distancié en affirmant : « La chair est flasque, hélas et j’ai oui tous les fifres ».

Michel VOITURIER (Avignon)

Chorégraphies : Olivier Dubois, Vaslav Nijinski, Dominique Brun
Mise en scène : Sophie Perez
Distribution : Caroline Baudouin, Laura Biasse, Marie-Laure  Caradec, Olivier Dubois, Sophie Gérard, Claire Laureau, Enora Rivière, Julie Salgues
Film : Christophe Honoré
Musiques : Claude Debussy, Xavier Boussiron, Sébastien Roux, Franck Alamo
Lumières : Patrick Rioux
Costumes : Corine Petitpierre, Cédric Debeuf


Festival In d’Avignon, au Cloître des Célestins, à 22h du 6 au 13 juillet

Producion : festival d’Avignon

Tournée : au Tam in August (Berlin) les 22-23 août ; en Corée (Séoul) les 5-6 octobre ; au MC2 (Grenoble) du 14 au 16 octobre ; à Tanz im Bern (Berne), le 18 octobre ; au Fanal (St-Nazaire) le 21 octobre, au LU (Nantes), les 23-24 octobre ; à la Faïencerie (Creil) le 13 novembre ; à La Foudre (Petit Quevilly) le 19 novembre ; à l’Apostrophe (Cergy-Pontoise) le 16 janvier 2009 ; au CDC (Toulouse) les 23-24 janvier ; aux Salins (Martigues) le 3 février ;  à la MCA (Amiens), le 6 février ; à Paris du 11 au 14 février ; au Triangle (Rennes) le 5 mars ; à la Rose des Vents (Villeneuve d’Ascq) les 11 et 12 mars ;  à Uzès le 13 juin.

Photo © Patrick Sagnes
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10 juillet 2008 4 10 /07 /juillet /2008 19:06
QU'EST-CE QUE SIGNIFIE REGARDER?

Artiste associé du festival d’Avignon, le metteur en scène italien Roméo Castellucci propose une version très libre du chef d’œuvre de Dante, la Divine Comédie. La première partie, Inferno, se joue encore les 10, 11, 12 juillet dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, à 22h. Le voyage est fascinant.

Ce rêve de La Divine Comédie

« J’ai toujours eu ce rêve de La Divine Comédie. Comme un rêve qui m’était interdit. C’est une œuvre d’imagination liée à des visions. Ce qui m’a toujours attiré, c’est cette impossibilité à s’y mesurer. J’ai besoin de me sentir démuni, cela me permet de dépasser le problème de l’illustration du texte.  J’ai peur, évidemment. La Cour d’honneur est un lieu plein de dangers. » Sur la scène, des chiens de garde, attachés à des chaînes, ils aboient, furieux, un homme s’avance au centre du plateau et dit : Je m’appelle Romeo Castellucci. Il revêt une protection, les chiens lui foncent dessus et le mordent. Puis un grimpeur gravit la paroi de la Cour d’honneur dans un silence que seul le vent trouble. Il s’accroche aux corniches, fenêtres, se suspend les bras en croix. La beauté sidérante de son ascension se superpose à la peur de sa chute. On songe au texte de Jean Genet sur le funambule. Quelque chose tombe du haut du mur, c’est un ballon de basket. « La Cour vous oblige à retourner dans une condition d’innocence. Il faut oublier le texte, l’appareil critique. Il s’agit d’entrer dans la condition de Dante égaré sur un chemin inconnu. Et de recevoir les images comme lui, les a perçues. Il faut rechercher cette faiblesse en soi. »



Recevoir les images, les sons, les matières

Très proche de la performance, le spectacle est construit comme une suite de visions dans lesquelles chaque spectateur est invité à se glisser. Sur le plateau, ils sont une soixantaine de danseurs et de figurants. Le metteur en scène a imaginé pour eux une chorégraphie avec Cindy Van Acker. On suit les ondulations de cette foule. Ballet de formes, de costumes, de couleurs, de corps, d’âges, tout est différence. Il n’y a qu’à se laisser aller et s’abandonner dans ce concert de matières, de forces, de sons, de lumières. Un enfant écrit le nom Jean sur les murs de la Cour, un immense voile noir envahit le ciel et menace une cage de verre dans laquelle des enfants jouent innocemment. Des cris et des sons enregistrés dans la nature (mis en musique par Scott Gibbons) voltigent autour de nos oreilles. On entend les clameurs d’un match de foot, les grésillements d’une ligne à haute tension, on voit des corps chuter, on sent sous nos pieds les tremblements des gradins. Surgit un cheval blanc dont les jambes se colorent de rouge. Des écrans sur lesquels on peut lire les lettres du mot étoile tombent du ciel. Tout est convocation de nos émotions. Inferno raconte la chute, la tristesse, la nostalgie. C’est à une véritable écriture de ce que peut être le plateau que nous invite Castellucci : il a le talent fou d’aller au bout de sa vision, il semble ne plus avoir peur, il est au sommet de son art quant à sa maîtrise de l’illusion théâtrale.

Des forces qui réveillent le regard

Nous avons rencontré Roméo Castelucci pour évoquer son travail. Voici ce qu’il dit du regard et du spectateur : « Je crois que le théâtre est un objet qui est créé par le spectateur. Il y a un devoir du spectateur, c’est le regard du spectateur qui fait les choses, qui les rend possibles, ce n’est pas une nouveauté, les anciens grecs appelaient le regard epopteia, un regard érotique par rapport à la chose regardée, un regard qui crée son propre objet. C’est le regard qui prolonge et met en crise ce qui est vu. C’est pour cette raison que j’ai parlé de la curvatura dello sguardo. Le spectateur est vu par le spectacle au théâtre. Il se trouve dans cette vision. Il y a une sorte de courant qui passe entre la scène et la salle. C’est dangereux de regarder, ce n’est pas privé de conséquences. Dans cette époque, nous sommes les spectateurs du spectacle de la communication. Le théâtre est un choix, un réveil, un état de veille. C’est un contenu politique : qu’est-ce que ça signifie regarder ? Cela n’a rien d’innocent, je ne sais pas… »

Matthieu MEVEL(Avignon)

Inferno, Librement inspiré de La Divine Comédie de Dante – de Romeo Castellucci
Mise en scène, scénographie, lumières et costumes : Romeo Castellucci
Musique originale et exécution en direct : Scott Gibbons
Chorégraphie : Cindy Van Acker, Romeo Castellucci
Collaboration à la scénographie : Giacomo Strada
Sculptures en scène : Istvan Zimmermann, Giovanna Amoroso
Automates : Giuseppe Contini
Réalisation des costumes : Gabriella Battistini
Avec : Alessandro Cafiso, Maria Luisa Cantarelli,Silvia Costa, Sara Dal Corso, Antoine Le Ménestrel, Manola Maiani, Luca Nava, Gianni Plazzi,
Stefano Questorio, Jeff Stein, Silvano Voltolina

photo © Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon
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9 juillet 2008 3 09 /07 /juillet /2008 19:53
CHAPEAU BAS POUR UN PROJET FOU

Très beau moment que celui offert par le metteur en scène, chorégraphe, et plasticien italien Romeo Castellucci, dans la Cour d’Honneur du palais des Papes où il a présenté « Inferno » ou «L’Enfer», premier volet du triptyque de La Divine Comédie de Dante Alighieri (1265-1321) ; il présente encore dans deux autres lieux « Purgatorio » et « Paradiso ».

L’artiste italien aurait donné une image inouïe de la forteresse imprenable qu’est la Cité des Papes, mais s’il est une question récurrente pour la critique française et francophone, c’est bien celle de savoir quel est cet enfer où règne en maître Castellucci ?

A ce sujet, la presse quotidienne française est unanime. Et c’est Brigitte Salino dans le journal Le Monde (édition du 8 juillet) qui le dit le mieux comme le laisse entendre le titre : « Castellucci mène l’enfer au sommet », voilà qui évoque la longue ascension d’un homme araignée sur la façade de la cour d’honneur du Palais des papes avant le lancer impressionnant d’un ballon rouge. Ce dernier viendra frapper la scène et se glisser entre les mains d’un enfant. La passe est déjà symbolique et chargée de sens.
Cet enfer à l’italienne est perçu par la critique comme la description d’un monde actuel, celui d’un « ici et maintenant », d’un temps suspendu qui se moque d’un ailleurs imperceptible. C’est de toute façon, « un monde déshumanisé où l’individu est seul, et la masse aveugle » que décrit la critique Brigitte Salino tout en soulignant la force d’un univers sonore où « tout est affaire de sensations, de terreurs récurrentes et d’appels à l’inconscient ».



Car, comme le souligne Jean-Pierre Léonardini dans L’Humanité, cet enfer « est aussi pavé des meilleures inventions ». Là, il est estimé que ce spectacle « bouleverse par la hardiesse de l’imaginaire plastique investi » et on s’accorde à dire que la pièce est loin de toute illustration mais revêt bien le caractère d’une complète appropriation par le metteur en scène.

Tous ont décrit et salué l’entrée en scène risquée de Roméo Castellucci, mais la critique s’estime parfois bien pauvre et limitée pour donner en quelques mots tout le rendu des tableaux issus de l’imaginaire de l’artiste.
On s’est parfois interrogé sur l’apparition de Andy Warhol dans le déroulement de la pièce, parfois jugée malvenue, certains l’ont identifié à un Virgile contemporain. La plupart ont décrit « la force d’un univers propre à hanter son public. »

Même sentiment dans le quotidien Libération qui estime que Roméo Castellucci donne à cet enfer une nouvelle énergie, précisément parce qu’il conduit le public à s’interroger sur l’enfer selon lui. Pour René Solis, « ce spectacle rare fait partie de ceux qui une fois tous les vingt ou trente ans réussit l’enchantement de la cour d’honneur. » C’est dire le compliment ! La critique est ici sans reproche : « Inferno de Castellucci a cette force là, qui nettoie le regard, ouvre des chemins, ne vise pas la perfection. »


Dans Telerama, Fabienne Pascaud décrit un Castellucci qui « enflamme la cour d’honneur », « s’empare des lieux », « un spectacle hallucinant où rien n’est gratuit et qui a mis le feu au palais des Papes… » Bref, ce Roméo Castellucci est un homme bien inspiré par l’enfer et la critique de souligner : « on n’en finit pas d’évoquer les quasi-hallucinations que sculpte Roméo Castellucci dans les lumières folles, dans un décor qu’il a su rendre sensible et proche. »

L’accueil de la presse francophone n’en est pas moins dithyrambique, ainsi dans le quotidien belge Le Soir peut-on lire que « la vision de Castellucci est d’ores et déjà inscrite dans la légende d’Avignon », que dans cette version, le public subit un « choc autant visuel qu’émotionnel ». Ici on estime que tout y est ! Il s’agit là « d’un enfer juste ce qu’il faut de violent… avec de la tendresse pour toucher le public ». Le critique Jean-Marie Wynants, estime qu’avec « Inferno », Romeo Castellucci imprime d'emblée sa marque sur Avignon notamment parce qu’il s’agit de l’œuvre d’un metteur en scène plasticien d'une humanité bouleversante. Il parle même d’un « Inracontable Inferno ».

Dans le quotidien La Libre Belgique, Marie Baudet souligne encore « un enfer qui explore la mélancolie plus que l’épouvante ». Elle se risque à donner des précisions sur l’univers sonore de la pièce et il faut imaginer ce qu’a pu expérimenter le public : « des sons compilés de clameurs de foule, des grésillements de câbles, de tôle froissée, de halètements d’animaux et même, dit-on, la scie d’une dissection humaine. »

Au final, Castellucci a réussi à donner une vision de l’enfer tout de même baignée d’une étrange douceur. Alors à la question de savoir quel est cet enfer, une réponse semble enfin trouvée : « il est la vie avec son cortège de souffrance ».  Et, comme le clame le critique René Solis dans Libération« L’Inferno, c’est nous ! ».

Christelle ZAMORA

Photo © Christophe Raynaud de Lage

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8 juillet 2008 2 08 /07 /juillet /2008 23:20
ET LE CORPS S’EST FAIT VERBE

Donner au texte de Claudel sa dimension musicale sur une partition corporelle, tel est le pari de cette mise en scène collective. Les comédiens y traduisent par la voix et le corps les interrogations autobiographiques de l’auteur au sujet de la passion amoureuse.

Sur un plateau nu, posé dans le décor minéral de la carrière de Boulbon, une femme et trois hommes s’adonnent au lyrisme verbal et à la mise en espace gestuelle de leur présence charnelle. Ils sont les voix des tiraillements de Claudel entre sa morale et sa chair ainsi qu’entre fusion et déchirement. Ils incarnent le déferlement verbal d’une passion dont les mots s’aventurent loin dans le paradoxal, le contradictoire, l’affrontement du sensuel et du spirituel, la frontière négligeable séparant amants et bourreaux.


Chaque geste, chaque attitude, chaque mouvement s’attachent à communiquer des signes qui leur sont propres. La représentation se situe aux limites du ballet et des jeux d’enfance. Foin de l’illustration immédiate, de la lisibilité au premier degré, sauf parfois lorsque les réalisateurs collectifs se laissent tenter par l’attrait du gadget (comme dans l’usage de ces langues lumineuses style Saint Esprit descendant sur les apôtres du Christ à la Pentecôte et jouant les feux follets au-dessus des interprètes).

Les tensions, les violences, les pulsions qui hantent les hommes se lisent. Les interrogations, les doutes, les manques qui gangrènent l’équilibre personnel, qui lézardent les relations humaines avoisinent les failles rendant les gens plus proches lorsqu’ils acceptent de se livrer.  L’aspiration à l’impossible illumine et dévore, vivifie et mutile. Vivre sans aimer n’est pas vivre. Mais si vivre avec la tornade de la passion est une expérience lumineuse, le poids sociétal et moral transforme le tout en vide mortel.

En son dépouillement, la scénographie construit et déconstruit l’espace. Elle le fragmente. Elle le fait éclater. Le quatuor des comédiens assume ses options d’interprétations. L’énergie physique habite chacun. Elle ne parvient plus, durant la dernière partie,  à compenser l’effet de longueur des répliques claudéliennes car il n’est pas simple de renouveler une démarche qui a déjà épuisé bien des ressources des images scéniques offertes au public.

Michel VOITURIER

Le Partage de midi
Texte : Paul Claudel (éd. Gallimard)
Distribution : Gaël Baron, Nicolas Bouchaud, Valérie Dréville, Jean-François Sivadier
Mise en scène : Gaël Baron, Nicolas Bouchaud, Charlotte Clamens, Valérie Dréville, Jean-François Sivadier
Travail sur le mouvement : Philippe Ducou
Costumes : Virginie Gervaise
Lumières : Jean-Jacques Beaudouin, Philippe Berthomé
Son : Jean-Louis Imbert

Production : Festival d’Avignon

Tournée : du 12 au 23 novembre aux Gémeaux (Sceaux) ; du 27 au 29 novembre, au Centre dramatique national (Orléans) ; du 3 au 6 décembre à l’Espace Malraux (Chambéry) ; du 10 au 13 décembre à la Rose des Vents (Villeneuve d’Ascq)

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8 juillet 2008 2 08 /07 /juillet /2008 10:45
L’ENEIDE Ou SANGATTE ?

Olivier Kemeid, Québécois d’origine égyptienne, co-fondateur de la compagnie « Trois tristes Tigres, » a écrit son Enéide en résidence d’écriture à la Chartreuse de Villeneuve-les-Avignon, en août 2007, et l’a créée cet hiver à Montréal. Mais... L’Enéide ou Sangatte ?

Enée, son père Anchise, sa femme Creüse, son fils Ascagne, son ami Achate, chassés de leur pays, sont condamnés à l’errance... Enée affrontera une tempête, l’hostilité des hommes, les privations et les humiliations, perdra son père et sa femme, s’oubliera quelque temps dans les bras d’Elissa (Didon), il demandera conseil à son père au royaume des morts, et trouvera enfin une terre d’accueil auprès de Lavinia. Voilà effectivement la trame narrative de l’œuvre de Virgile (19 avant JC), épopée imitée de l’Iliade et de l’Odyssée - dans l’ordre inverse.
Voilà aussi les noms des personnages, voilà aussi les épisodes-clefs de la pièce d’Olivier Kemeid ; néanmoins cette Enéide-là traverse, à notre époque, une discothèque, une maison de retraite, une plage, une maison de passe, et évidemment un camp de réfugiés, et l’on y croise les errants de toutes les nations, et l’histoire familiale de l’auteur.
N’y aurait-il pas tromperie sur la marchandise ? Visiblement le public était venu pour entendre l’Enéide, l’autre, la vraie. Olivier Kemeid n’aurait-il pas été plus honnête en intitulant sa pièce - et le livre qu’il vend - Le nouvel Enée, ou Une autre Enéide ? L’œuvre inspiratrice est une épopée, avec une unité de ton et une intensité toujours soutenues ; celle-ci, faite pour le théâtre, joue - excellemment, d’ailleurs - sur le décalage, le mélange des tons. Certes l’une comme l’autre respectent les poncifs académiques du genre : 12 chants, 5 actes. N’empêche, la supercherie nous gêne, et le public, convié pourtant à un échange avec l’équipe, s’éclipse dès la fin de la pièce.



Restent tout de même deux heures d’une pièce très belle, tonique, drue, universelle, souvent violente, voire culpabilisante, mais jamais moralisatrice. Le public a très favorablement réagi à quelques passages savoureux (« Immigrants, immigrantes, je vous ai compris... » dans le discours ronflant et parodique d’un général à la tribune) ou à la « beaufitude » d’un couple sur la plage... Et les sept acteurs, alignés devant leurs pupitres, ont pleinement joué la pièce, incarné les personnages, aussi bouleversants dans les hurlements de douleur que dans la froideur administrative, aussi jubilatoires dans la dérision que dans les éclats de rire sarcastiques, aussi émouvants dans la tendresse que dans la passion. Du très grand art en ce sens, mais faut-il que l’inconfort soit au rendez-vous - dans l’humidité glaciale de la Cave du pape de la Chartreuse - pour que l’esprit se prépare mieux à accueillir la substantifique moelle de la parole poétique ?

Geneviève DEWULF

L’Enéide
Chartreuse Villeneuve – 11h00 le 6 juillet

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Chronique FraÎChe