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Mois AprÈS Mois

Festival d'Avignon

26 mars 2008 3 26 /03 /mars /2008 22:59
L'OEUVRE EN PLEIN COEUR

Avec ou sans Roi Soleil, rien de nouveau sous le soleil : l'humain, éternel... Avec des personnages devenus des types, des noms communs, des qualificatifs, avec une œuvre parmi les plus connues, les plus magistrales, les plus accomplies du répertoire dramatique français et de son auteur, Molière, en particulier, le défi de nous en proposer une version moderne nouvelle n'était pas mince. Il y a plusieurs façons de "tripatouiller les classiques". S'y est attaqué Philippe Sireuil, une référence en matière de "révélation de classiques".


Une dimension humaine rarement atteinte ; c'est la richesse de cette pièce en particulier que d'être l'une des plus énigmatiques de Molière et propre à de multiples interprétations oscillant de la satire sociale farcesque au drame intime du couple impossible. Avec "le" Misanthrope" de Philippe Sireuil, son metteur en scène, et de Philippe Jeusette, son interprète, nous dépassons le dépoussiérage et l'actualisation, nous atteignons l'œuvre en plein cœur, dans sa grande et éternelle humanité. Le moindre détail est porteur de sens. Et le tout avec légèreté et un humour très fin qui au début de la pièce - une pièce "sans surprise" pour bien des spectateurs - nous fait découvrir les personnages en costumes d'époque… parce qu'ils reviennent d'un bal masqué. Ensuite nous aurons droit à des "ajustements" qui ne seront jamais gratuits, tels que ces "petits marquis": Acaste/Fabrice Schillaci et Clitandre/Patrick Donnay, en habitués de la jet set, tous ces mondains en vêtements "haute couture" et ce décor très "tendance zen"… de Vincent Lemaire, "bellement" mis en valeur par le metteur en scène, lui-même aux lumières.

LEMISANTROPE.jpg
En dispositif bi-frontal, nous voilà en vis-à-vis, spectateurs des "pipeule"; nous sommes chez les riches, les nantis d'aujourd'hui et de toujours. Et si Philippe Jeusette donne ici la pleine mesure de son talent, il est entouré d'acteurs qui sous la houlette de leur metteur en scène, ont réussi la gageure de nous proposer une vision originale de leurs personnages (devenus, avec les siècles - eh oui - quelque peu stéréotypés).

On savourera l'Arsinoé de Florence Minder, non plus figée dans un carcan rigide et unicolore, le couple Philinte/Thierry Lefèvre et Eliante/Edith Van Malder qui, de personnages trop souvent falots, prennent de réelles personnalités. Même l'insupportable "faiseur de vers", l'Oronte de Jean-Pierre Baudson, offre un côté pathétique et les valets de Simon Wauters ont du relief. Formidables acteurs que Philippe Jeusette, Alceste, donc et Marie Lecomte, sa Célimène ! Contraste étonnant et touchant : l'ours (dans tous les sens du mot) et la poupée, avec leurs faiblesses qui nous les rendent si proches "malgré" le maintien (qui se fait à la fois avec respect et naturel) des alexandrins et des archaïsmes de la langue. Fragilité de celui qui s'affirme "contre" avec force", fragilité de celle qui semble rire de tout… "Je veux qu'on soit sincère…" dit Alceste dans la toute première scène. Il a été entendu.

Suzane VANINA (Bruxelles)

Texte "Le Misanthrope" de Molière
Mise en scène, lumière : Philippe Sireuil assisté de Christelle Alexandre
Travail gestuel : Marion Lévy
Scénographie et décor : Vincent Lemaire
Interprétation : Jean-Pierre Baudson, Patrick Donnay, Philippe Jeusette, Marie Lecomte, Thierry Lefèvre, Florence Minder, Edith Van Malder, Fabrice Schillaci, Simon Wauters
Décor sonore : David Callas
Costumes Catherine Somers – Maquillages : Catherine Friedland

Du 6 au 22.03.2008, grande salle du T.N.- Tél : +32(0)2.203.53.03 - www.theatrenational.be

Crédits photos : Mouche   
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26 mars 2008 3 26 /03 /mars /2008 08:56
LE TRAVAIL : MEILLEUR [TAT]AMI DE L'HOMME ?

"Stupeur et Tremblements" chez "Perfect SA", une entreprise de conditionnements… d'air. Ou la "culture d'entreprise", vue comme un sport de combat, comme un art martial à la japonaise.


"Tripalium", issu du latin, signifierait à la fois travail et torture (au Moyen-Age, une sorte de fourche à trois pointes). Paradoxe pour le spectateur : aller, après le travail, voir quelque chose qui parle du travail ! Masochisme ? Pas du tout, car il s'agit d'en rire un bon coup, d'où un bon défoulement, une mise à distance. Ou une réflexion amusée, c'est selon.

Dur labeur devrait rimer avec pur bonheur ?


L'épanouissement par et dans le travail ? On sait l'ironie amère renfermée dans la formule inscrite au fronton d'un célèbre autant qu'horrible "camp de travail" : "Arbeit macht frei". On connaît aussi le caractère quasi sacré que la notion de travail a conservé au fil des siècles. Même si certains ont pu faire "l'Eloge de la Paresse", il en est d'autres aujourd'hui pour marteler qu'il faut "travailler plus pour gagner plus". Alors, voici des mots, et des méthodes nouvelles, pour dire les maux actuels, aussi bien la dé-solidarité, la banalisation du mensonge, la lâcheté, l'hypocrisie "correcte", les rapports de pouvoir, le culte de l'argent… à travers la confession publique et impudique à laquelle un certain Jean Belle veut nous faire participer.

TripaliumPHOTO5.gif
"Perfect SA" avait été sa première expérience de travail, une "expérience familiale" (le patron se faisant appeler "papa") tragi-comique car il faut "tuer le père", une sorte d'initiation au monde réel pour "un bleu", jeune travailleur encore plein de rêves et d'illusions et chez qui la confusion vie privée/vie extérieure est totale… surtout quand il est poussé à le faire. Certains ne sont-ils pas réellement malades du travail comme dans le documentaire qui a inspiré et déclenché l'envie d'écrire chez Thibaut Nève ? (1). Pas de tatami pour recevoir la chute, la disgrâce. C'est pourquoi Jean Belle ne s'en remet pas et utilise la thérapie de groupe (nous public).

A travers le récit à rebours de l'histoire de cet employé brillant déchu, licencié "par sa faute", est-ce le procès de son comportement "inadéquat" qui est fait ou celui du mode de travail en entreprises ? "Art Martial", vraiment ? Les affrontements en milieu de travail ne se font pas toujours en direct, ou suivent des codes n'ayant rien à voir avec les "conventions de travail" officielles. Nous sommes loin de "la voie sacrée du guerrier".

Maîtrise de soi par les arts martiaux


Avec une belle inventivité dans la mise en scène et le postulat de départ, un rythme sans temps mort et une première et excellente direction d'acteurs de Thibaut Nève (acteur lui-même), cela donne un spectacle en phase avec un problème cuisant de notre société, dans une forme qui en est directement inspirée. Si L'on peut trouver l'ensemble un tantinet bavard, le flot de paroles (avec effets ricochets) arrivant par vagues à de certains moments, ne fait-il pas partie de l'arsenal des "commerciaux", pour une "corporate identity" et vers un "merchandising/marketing" réussis ?

Le "coaching physique", lui, non négligeable, est assuré par Othmane Moumen, par ailleurs co-fondateur avec Thibaut Nève de la compagnie Chéri-Chéri. Les écrans vidéo sont modulables, servent de mobilier en même temps que, quand ils sont activés, ils ne sont jamais redondants mais au contraire, expriment les non-dits, ou agissent en contrepoint ironique, soit une belle scénographie simple et efficace de Florine Delory. En costumes inspirés des tenues officielles judo-aïkido-kendo - la touche noire de celui du patron en allusion à la ceinture noire du Maître - quatre jeunes comédiens bourrés de talent : Jessica Gazon, Muriel Legrand, Clément Manuel, Philippe Rasse, vont nous livrer des personnages solidement campés, à peine caricaturaux (hélas) à détester, ou à plaindre. L'impact est donc réussi, de même que la première incursion de Thibaut Nève dans le monde des dramaturges.

Suzane VANINA (Bruxelles)

1) "Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés" de Sophie Bruneau et Marc Antoine Roudil

Texte : Thibaut Nève
Mise en scène : Thibaut Nève assisté de Othmane Moumen
Scénographie  et costumes : Florine Delory
Création vidéo : Olivier Conrardy – écrans sur scène : Philippe Cornette
Interprétation : Jessica Gazon, Muriel Legrand, Clément Manuel, Philippe Rasse
Lumière : Benoît Lavalard
Son/création musicale : Pierre Poucet

Du 26.2 au 15.3.2008 au CC des Riches-Claires, en coproduction avec la Compagnie Chéri-Chéri
Tél : +32(0)2.548.25.80 – www.lesrichesclaires.be - 

Crédits photos © Christian Carleer

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25 mars 2008 2 25 /03 /mars /2008 22:39
SINGE, CLOWN, ARTISTE, BÉBÉ, ANGE... TOUS DES PLAGIAIRES

Alors qu'il est occupé à sa production de cet été au Festival d'Avignon, il fait l'objet d'un "focus" à Bruxelles avec exposition, spectacles (1)… dont ce Roi du plagiat (en néerlandais en 2005), l'histoire d'un ange…N on pas celle de "L'Ange de la Mort" (2003) mais celle d'un ange qui rêve de devenir un "singe bavard", un humain quoi ! Un texte magnifique né de la sublime rencontre entre deux "bavards", un auteur et son vecteur idéal, deux artistes parmi les plus intéressants de leur génération : Jan Fabre et Dirk Roofthooft.

"L'Empereur de la Perte" se terminait par "à vos yeux, je serai bien un clown maintenant. Je m'en fous car je présume que des ailes me poussent entre les épaules…" et puis : "Je ferai bien de m'en retourner au début chercher l'avenir…" Et effectivement, comme chez Jan Fabre, rien n'est définitif, "rien n'est jamais acquis à l'homme", on retourne au début, et d'un clown devenu ange, il montre ici l'ange rêvant d'être un humain. D'une vieille accusation de "plagiat" par un critique virulent ne comprenant pas qu'il aime émailler ses "textes-manifestes" de citations, il fait un spectacle, basé sur l'imitation, sur le postulat de départ : l'homme n'a jamais cessé d'imiter. Le bébé qui naît, qui naîtra, va copier, immanquablement.

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Il y a une vingtaine d'années, Jan Fabre a créé sa propre compagnie, Troubleyn (de "trouw blijven"/rester fidèle !), ce qui en dit long sur la cohérence et la continuité de sa démarche. Il est ce que l'on aurait appelé naguère "un humaniste" (1), non seulement artiste pluridisciplinaire (théâtre, arts plastiques) mais c'est aussi un homme de culture, convaincu que "l'avant-garde authentique est enracinée dans la tradition" et dont l'œuvre, du reste, fourmille de références.

Dans "Le Roi du Plagiat", il est question de "stein"/pierre et de quatre "Stein" censés fournir – Einstein pour la science, Wittgenstein pour la philosophie, Gertrud Stein pour l'art, Frankenstein pour l'intelligence artificielle - ce qui sera nécessaire à, non pas "l'envol de l'ange", mais tout au contraire, à son atterrissage dans la pleine matière humaine. Illustrant "l'ennui naquit un jour de l'uniformité" et aspirant aux contrastes, aux passions, à l'imperfection, à l'échec, même… Cet ange va pratiquer l'automédication, toucher au cerveau (terrain sacré d'exploration) et accomplir l'acte tabou de l'autocréation. Aussi incroyable que cela puisse paraître, l'ange Roofthooft (car l'empathie et la crédibilité sont parfaites) nous admire. Il nous envie, nous spectateurs, qu'il interpelle, nous qu'il appelle "singes bavards" - à moins que ce ne soit l'acteur exposé à la vindicte du public ? - . Humblement, il vient nous prier d'assister à ses errances et ses progrès dans le langage, dans la construction physique de son imitation… conscient qu'il est de ses limites, de sa vulnérabilité qui nous le rend attachant.  

L'acteur solaire sans qui le texte ne serait que ce qu'il est : "bavardage"…

Avec "Le Roi du Plagiat" - deuxième volet d'un triptyque dont le troisième ("Another Sleepy Dusty Delta Day") est donc en préparation pour Avignon - Jan Fabre et Dirk Roofthooft manient (complices depuis vingt ans, ils ont travaillé ensemble, d'abord à l'écriture) des concepts philosophiques avec le plus parfait naturel, l'acteur jouant de sa voix et de son corps comme un instrumentiste de haut niveau…

Et quel fabuleux acteur ! Polyglotte, favori de deux grands auteurs-metteurs en scène, Jan Fabre mais aussi Guy Cassiers (2), Dirk Roofthooft trouve dans les styles différents de ces deux auteurs de quoi faire éclater les multiples facettes d'un talent qui tel un diamant – le comédien est né à Anvers en 1959 – brille de mille feux, en Belgique comme ailleurs. Virtuose des langues, qu'il manie à la perfection, il est à l'aise dans chacune (français, néerlandais, allemand, anglais, espagnol) quand elle est prioritaire. Il dit s'enrichir de la spécificité de chacune qui ainsi traduit différemment les richesses variées d'un spectacle essentiellement modulable, comme les "performances" chères à Jan Fabre. Et, par exemple, dans la version française du "Roi du Plagiat", il ne manque pas de l'émailler de bouts de phrases et citations en allemand et en anglais…

Alors que ce personnage étrange nous semble si proche, et ce texte presque simple et quotidien, dans une forme qui le destine essentiellement au dialogue avec le public, nous touchons pourtant à de grandes vérités sous-jacentes comme la conscience que nous ne sommes qu'un maillon d'une chaîne, émergence d'un vaste magma de cultures brassées, croisées depuis les origines.

Suzane VANINA (Bruxelles)

1) N'a-t-il pas été déclaré (lors de son spectacle "Histoire de larmes") "ambassadeur culturel" pour l'Unesco-IHE/Institut pour l'Education à l'Eau jusqu'en 2010 ?

2) 25 spectacles : outre "Le Roi du Plagiat", au Varia, aux Brigittines : "Quando l'uomo principale è une donna" + "L'ange de la Mort" du 12 au 15.3 et du 18.3 au 21.3.2008 et l"'Expo Jan Fabre" au Palais des Beaux-Arts (Bozar) du 7.3 au 18.5.2008

3) Aux Halles "Rouge Décanté", de Guy Cassiers, en version française

Texte "Le Roi du Plagiat" de Jan Fabre/éditions de l'Arche, Paris
Dramaturgie : Miet Martens
Mise en scène: Jan Fabre assisté de Coraline Lamaison
Scénographie : Jan Fabre – Assistant décor : Mieke Windey
Interprétation : Dirk Roofthooft
Lumière : Harryy Cole et Jan Fabre
Costumes : Ingrid Vanhove

Production de Troubleyn-Jan Fabre en coproduction avec les festivals d'Avignon et deSingel, les scènes françaises Bonlieu Scène Nationale, Espace Malraux, Comédie de Valence, en accueil au Théâtre Varia du 18 au 27.3.2008, 20 h 30 (me 19 h 30)- Tél : +32(O)2.640.82.58
www.varia.be - www.brigittines.be – www.bozar.be – www.troubleyn.be

 Crédits photos © Malou Swinnen et Wonge Bergmann

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25 mars 2008 2 25 /03 /mars /2008 19:37
LA MONTÉE EN PUISSANCE D’HITLER

A travers les agissements du gangster américain Arturo Ui, Bertolt Brecht dépeint avec clairvoyance l’arrivée au pouvoir d’Hitler et l’installation d’un régime de terreur. Dans une mise en scène d’Heiner Müller, l’acteur Martin Wuttke met l’accent sur la grossièreté, l’opiniâtreté et la dangerosité du personnage. Drôle et glaçant.


La représentation commence dehors, au pied du Berliner Ensemble. Des hauts-parleurs postés sur le toit du théâtre aboient un discours nazi. Une fois à l'intérieur, deux têtes de buffles aux yeux rouges et inquiétants surveillent depuis leur balcon les spectateurs qui s'installent. Le rideau – une porte en tôle ondulée - se lève. Chicago, années 30. La crise économique ronge la ville. Les producteurs de choux-fleurs ne parviennent plus à écouler leur marchandise. Ils font appel à un gangster, qui use de la violence et du chantage pour obliger les détaillants à acheter des légumes. Ainsi commence « la résistible ascension d'Arturo Ui ».

Arturo-Ui-Martin-Wuttke.jpg
Dans cette pièce, écrite en 1941 pendant son exil en Finlande, Bertolt Brecht retrace à mots à peine couverts l'accession au pouvoir d'Adolf Hitler et l'installation d'un régime de terreur. Parmi les hommes de main d'Arturo Ui, on retrouve, déformés, les noms des principaux dirigeants nazis : Givola pour Goebbels, Roma pour Röhm, Gori pour Goering. Hindsborough, l'administrateur octogénaire de la ville, n'est quatre que Paul von Hindenburg, à qui Hitler succédera. Le dramaturge allemand, qui meurt en 1956, ne verra jamais jouée sa pièce. Elle sera présentée pour la première fois en 1959 par le Berliner Ensemble, collectif et théâtre fondés par Bertolt Brecht et sa femme, l'actrice Hélène Weigel, en 1949 à Berlin-Est.

« La résistible ascension d'Arturo Ui », jouée en alternance tout au long de 2008, reprend la mise en scène conçue à la fin de sa vie par Heiner Müller, alors directeur du Berliner Ensemble (1995). La pièce connut un franc succès à Berlin, puis au festival d'Avignon, en 1996. Le metteur en scène a mis l'accent sur le côté grotesque, brutal et avide de pouvoir d'Arturo Ui et de ses hommes de fer.

La pièce bascule

Le succès de la pièce repose largement sur les épaules de Martin Wuttke, dont le jeu époustoufle. Il campe un Arturo Ui gauche, bourré de tics et presque bègue. Chaque geste est étudié. Tout son corps parle, à la manière d'un Chaplin. Il ouvre la pièce en jouant un chien, haletant et féroce, symbolisant Ui/Hitler en moins que rien. Pour se forger un charisme, le vulgaire et ridicule gangster, demande à un vieux comédien de lui donner des leçons de diction et d'allure. Cette scène, de mime, superbe et drôle, fait aussi basculer la pièce. Désormais Ui gagne en assurance et donc en dangerosité. Sans perdre sa vulgarité. En particulier vis-à-vis des femmes, rares dans la pièce. Devenu un homme puissant et respecté, le gangster utilise son haut-de-forme pour masquer une érection devant une femme, qu'il violera. Acteur fétiche de Heiner Müller, Martin Wuttke incarnait déjà le personnage principal à Avignon, et l'a interprété plus de 300 fois depuis.

Ce choix de tourner Ui en ridicule et de lui prêter une voix nasillarde provoque le rire et la réflexion. Jamais donneur de leçons, Müller fait référence à l'Histoire par des détails. Le roulis d'un train rythme ainsi régulièrement la pièce. Auschwitz approche. Le tag «Moscou : 100 kilomètres» sur les jerricans d'essence des gangsters fait le lien entre les dictatures nazie et stalinienne. Mais ce choix délibéré du burlesque ne met peut-être pas à sa juste valeur le texte de Brecht, et atténue la tension, ressentie à la lecture de la pièce, à mesure qu'Arturo Ui s'impose et élimine toute résistance sur son passage.

Marie MASI (Berlin)

"La résistible ascension d'Arturo Ui" ("der aufhaltsame Aufstieg des Arturo Ui")
Texte : Bertolt Brecht
Mise  scène : Heiner Mûller
Interprétation : Martin Wuttke, Heinrich Buttchereit, Victor Deiß, etc.
Décors : Hans Joachim Schlicker

Berliner Ensemble, Schiffbauerdamm, Bertolt-Brecht-Platz 1, 10117 Berlin
www.berliner-ensemble.de
 
Prochaine représentation : le 27 avril 2008.
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25 mars 2008 2 25 /03 /mars /2008 19:06
ABUSEUR AMUSEUR

Alors que le Don Juan de Josep Palau i Fabre se joue au Teatro español et que le Circulo de Bellas Artes a présenté une réécriture du mythe dans le cadre du festival du théâtre des communautés autonomes,  au Teatro de La Abadia, Dan Jemmett met en scène la version de Tirso de Molina, El Burlador de Sevilla o El convidado de piedra.

Il est des moments où certaines pièces, certains mythes, concentrent tout particulièrement l’attention des créateurs. En Espagne, la légende du célèbre séducteur est dans l’air du temps. Parmi ses différentes versions, c’est la vision chaotique offerte par Tirso de Molina qui a interpellé le metteur en scène britannique. « Travailler sur "L’Abuseur de Séville" de Tirso de Molina, c’est tenter de faire un énorme puzzle du monde » dit Dan Jemmett. « Mais il ne s’agit pas d’un puzzle ordinaire. Les pièces semblent presque s’emboîter, pourtant, il y a des pays que nous n’avons jamais vus, des villes dont on n’a jamais entendu parler, des mers que nous n’avons jamais entendues nommer. Et tout nous inspire des voyages que, jusqu’à présent, nous n’avons pas encore commencés ».

el-burlador.jpg
Pour nous inviter à ces voyages, le metteur en scène et la troupe de l’Abadia se proposent justement de réagencer les éléments du puzzle, en changeant l’ordre de certaines scènes ou en opérant des coupures dans un texte dont on garde le rythme des vers originels. On joue avec les pièces, on les assemble, les désassemble pour rendre la dynamique de l’œuvre.
 
Un jeu baroque

Souci baroque d’effacement des frontières. On déplace, dans le temps (du ska au cabaret, la musique colore le spectacle au son des années 60), dans l’espace (scènes et coulisses sont interverties : les comédiens se changent à vue, tandis que certaines actions sont jouées derrière le rideau). Illusion démultipliée. Hormis le couple central du maître et du valet, chaque acteur interprète trois à quatre personnages. Il en résulte un spectacle vivant et agréable. On s’interroge pourtant sur le bien fondé de ce réagencement. Si ce mélange d’ingrédients hétéroclites confère une certaine fraîcheur au texte de Molina, il manque de cohérence, de cette vision structurante qui est la marque des grands auteurs.

Les acteurs sont néanmoins bien dirigés. Leur jeu est juste et maîtrisé. Antonio Gil, qui a cherché à « tromper le trompeur,  à manquer de respect au mythe », tout en « respectant ce qu’il y a d’universel dans ce classique », campe un Don Juan parfaitement irrévérencieux, tandis que Lino Ferreira interprète un Catalinón délicieusement comique. La scène du second dîner est, sans conteste, une des plus savoureuses. Le lieu de représentation (la salle Juan de la Cruz, aménagée dans une ancienne église) confère en effet une résonance singulière au jeu du maître et du valet s’immisçant à pas feutrés dans la chapelle où réside le "convive de pierre", pour le plus grand plaisir de ces convives de chair que sont les spectateurs…

Alexandra VON BOMHARD (Madrid)

El Burlador de Sevilla o El convidado de piedra, de Tirso de Molina
Metteur en scène : Dan Jemmett
Avec: Ester Bellver, Lino Ferreira, Antonio Gil, David Luque, Luis Moreno, Marta Poveda
Scénographie et costumes : Dick Bird
Lumière : Dominique Borrini

Teatro de La Abadia, du 22 février au 30 mars 2008
Sala Juan de la Cruz
c/ Fernández de los Ríos, 42,  28015 Madrid  - Tel : 91 448 11 81  - www.teatroabadia.com
 
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24 mars 2008 1 24 /03 /mars /2008 17:10
ENTRE RIRE DÉPLOYÉ ET SANGLOT RENTRÉ                              

Dans le domaine du roman existe le docufiction où l’auteur se met en écriture pour exprimer ce qu’il est. Le monologue écrit et joué par Vanessa Van Durme est de cette catégorie. C’est en effet sa vie de garçon devenu femme que raconte l’actrice avec une présence sensible.  


Les politiciens flamands nous étonneront encore souvent avec leur repli identitaire obsessionnel. Les artistes néerlandophones nous épateront encore longtemps avec leur potentialité créatrice et leurs audaces. La confession de Vanessa est un moment fort de réalité humaine, joué avec une conviction qui parvient à mêler un humour parfois cynique, parfois tendre et un réalisme d’une lucidité non dépourvue d’émotion.                                                                         

Le cheminement qui va de l’enfance à l’âge adulte est narré avec force détails. De l’accouchement aux forceps à l’opération effectuée au Maroc en 75 pour changer définitivement de sexe et tenter de trouver sa vraie nature. Nous assistons aux oppositions familiales ancrées dans les stéréotypes machistes. Nous participons aux tiraillements qui secouent celui-celle en train de se demander qui il-elle est.                            

Regarde-maman-je-danse-Xavier-Delestre.jpg                                            
Le public est placé dans l’intimité. Face à lui, une femme nus pieds en combinaison rose, près d’une table où se trouve un verre d’eau, près de deux chaises très ordinaires et pas loin de deux poupées (une fillette, une garçonnet) plantées debout côté jardin. C’est une confession sans fard, ponctuée de rires, d’un soupçon de sarcasme. C’est une confession qui ne cache rien des difficultés à prendre des décisions, des circonstances peu propices d’une opération chirurgicale encore au stade expérimental, de la prostitution pratiquée pour survivre, de l’affrontement du regard des autres.                                                                                    

Des moments sont particulièrement bouleversants. Celui du premier rapport sexuel établissant enfin la vraie nature en opposition à l’ambiguïté d’autrefois. Celui de l’acceptation par le père d’une transformation qu’il rejetait. Celui de l’agonie de la mère dans les bras de son enfant. Vanessa Van Durme passe de la première à la troisième personne, de sa personnalité à celles de son entourage. Elle campe des personnages caricaturés sans en faire trop. Elle retrouve son propre drame sans sombrer dans le pathos ou le mélo. Elle rend proches les tourments, les blessures, les joies de celle qui prouve qu’il est possible d’assumer une différence jusqu’à trouver son équilibre, même s’il reste précaire. Mais qui peut bien se vanter de vivre en équilibre permanent avec soi-même et les autres ?                                         

Michel VOITURIER (Bruxelles)       

Texte et interpération : Vanessa Van Durme                            
Traduction : Monique Nagielkopf                                   
Mise en scène : Frank Van Laecke                                   
Lumière : Joak Van De Velde                                                                                       

Au Théâtre de l’Ancre à Charleroi du 13 au 29 mars ( www.ancre.be)               
                                                   
En tournée : le 23/04 à Avignon ; les 4-5/07 au Festival Rayons frais à Tours ; le 9/07 au festival des 7 Collines à St-Etienne ; le 26/09 au Centre culturel de Tielt-Winge ; le 7/11 au Studiedag Transgender de Leuven ; les 18-19/11 à La Rampe d’Echirolles ; du 20 au 22/11 au Toboggan de Decines ; du 2 au 6/12 au Théâtre de La Chapelle à Montréal ; du 6 au 10 et du 13 au 15/01/2009 au Théâtre des Tanneurs à Bruxelles ; du 20 au 23 au Théâtre Bel Image de Valence ; du 16 au 18/04 au Tramway Performing Arts and Venues de Glasgow ; du 28 au 30/04 au Grand Théâtre de Luxembourg ; du 11 au 16/05 au Théâtre de la Ville à Paris ; les 19 et 20/06/2009 au Centre culturel de Belem à Lisbonne.

Photo © Xavier Delestre
 


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4 mars 2008 2 04 /03 /mars /2008 23:32
LES AVENTURIERS DE L'ARTISTIQUE

Deux salles, une petite, une plus grande, dans deux coins différents de Bruxelles (enfin de Brussels puisqu'il s'agit d'une structure théâtrale flamande) : KAAITHEATER et KAAITHEATERSTUDIO'S, mais même volonté d'innovation, se voulant "reliés au monde par des milliers de fils". La politique générale de la Maison qui vient de fêter son trentième anniversaire (1) est d'être à la fois une "fenêtre sur le monde" et un lieu exceptionnel situé à Bruxelles et promotionnant "les regards singuliers" issus de ce biotope culturel…


Songs of the Dragons Flying to Heaven : en direct de Little Corea in America ?

Oui, car sous ce titre ne se cache nullement une histoire de kung-fu mais une drôle de petite pièce très "funny". Bien que le "New York Times ait gratifié le spectacle de la jeune artiste "de sang mêlé", Young Jean Lee, de "politically incorrect" tout en étant "directed brillantly", le spectateur européen ne pourra surtout que se sentir complètement dépaysé dans un univers qui mêle allègrement passé prestigieux et folklorique asiatique aux plus récentes dérives sociétales américaines, tiraillé comme la jeune héroïne entre vêtements anciens et jeans moderne. La jeune artiste coréo-américaine a écrit, mis en scène et joue ses propres expériences et ses questionnements - cultureS/identité - avec humour, impertinence et causticité sous son ravissant sourire et ses grands yeux candides. Dans un découpage en séquences brèves, elle fait alterner les scènes à deux, les danses à deux, trois, cinq, l'adresse en soliloque au public… se payant même le luxe de mettre en boîte de jeunes Américains… bon teint (le blanc !) ceux-là.

Texte, mise en scène, interprétation : Young Jean Lee
Ainsi que : Brian Bickerstaff, Juliana Francis, Haerry Kim, Jun Sky Kim, Jennifer Lim, Becky Yamamoto
Chrorégraphie, vidéo : Dean Moss
Production : HERE Arts Center, Diane White & Young Jean Lee's Theater Company

Mythobarbital ("Val der Titanen")
Comme un délire hallucinogène ou une messe ; avec la dernière création de "Abattoir Fermé", on devrait moins ressentir le dépaysement apporté par les jeunes New-Yorkais puisqu'il s'agit d'un collectif belge, de Mechelen/Malines. Ce serait méconnaître l'audace et l'envie de provocation de ces jeunes acteurs et un langage théâtral original qui est propre à ce Collectif, souvent qualifié d'"underground" et de "fleur sur un tas de fumier". La démarche de "Abattoir Fermé" vient d'être récompensée du Prix 2008 de la Culture/Arts de la Scène par la Communauté Flamande.

Mythobarbital-c-Abattoir_Ferme.jpg
S'il y a de la déconstruction des gestes quotidiens, une caricature des habitudes du confort et de la consommation outranciers, il y a, aussi, une célébration différente de la matière, sous toutes ses formes. Pour une fois, l'emploi de fumigène ne sert pas à illustrer, renforcer, un propos mais est vu en tant que matière, comme les fluides et liquides, avec une volupté jouissive. Pourrait-on parler de célébration "déviante"? "Abattoir Fermé" avait d'abord nommé son projet en cours de travail : "Déviant" et si le propos (d'abord basé sur le thème de l'échangisme) a évolué, justifiant le changement de titre, les intentions sont restées les mêmes dans le fond : il est toujours question de dérives suprêmes et sublimées…

Cela commence (et finit) par une satire féroce de la vénération des dieux divers de la Société de l'Ennui et de la Consommation : l'Aspirateur devant lequel on se prosterne, le Gaspillage comme marque de prospérité et les mille et un tics de la vie courante pris très au sérieux, sarcastiquement sacralisés. Et puis poussant tout cela jusqu'aux limites de l'absurde, une Grande Déglingue va s'emparer des trois protagonistes : Kirsten Pieters dont l'élégance va se détériorer, se transformer en friabilité, Tine Van den Wijngaert dont la passivité va muter en brutalité et déchaînement sauvage, avec pour maître d'œuvre ("de donjon"?) un Chiel van Berkel tendre bourreau, entre Sade et Pasolini. Quelques mythes et grands personnages seront évoqués, revisités, de façon totalement inédite, bien sûr !

Une "œuvre théâtrale" en forme de rituel sacré entièrement muet, qui se déroulera dans un silence impressionnant et laissera les spectateurs proprement "soufflés", complètement secoués. Salutaire catharsis !

Mise en scène : Stef Lernous et Joost Vandecasteele
Avec Kirsten Pieters, Tine Van den Wijngaert  et Chiel van Berkel
Musique : Kreng
Lumiere : Leo De Nijs
Production : Abattoir Fermé, Mechelen en association avec Kc nOna/Campo/Kaatheater

I/II/III/IIII
Après deux spectacles dans la petite salle, l'un venu de très loin (USA), l'autre de bien près (Flandre), nous voici dans la grande salle où a été placé le dispositif nécessaire à la dernière "oeuvre" de Kris Verdonck -  "I/II/III/IIII" –  et ses spectacles difficilement étiquetables, entre arts plastiques et théâtre, performance et installation. Trois exemples de l'esprit d'ouverture tous azimuts et de modernité du KAAITHEATER.
 
La Grande Manipulation comme thème de saison ? Après "Le Dépeupleur" au Varia, "L'Ecole des Ventriloques" à La Balsa, voici Kris Verdonck au KAAI et une autre façon de remettre en question la condition humaine. Son parcours est des plus complet : études à la fois d'architecture & arts plastiques, d'art dramatique, de littérature. Une explication à son obsession de l'impact de la technologie sur la vie "naturelle": il a réalisé aussi bien des spots pour la pub que des mises en scène pour le théâtre. Noir dans la salle et... noir sur scène. Lentement, apparaît dans la pénombre une jeune dame parée/coiffée comme pour aller à un cocktail mondain sauf que… ses pieds ne touchent pas terre. On découvrira peu à peu, au son d'une musique minimaliste répétitive, lancinante, qu'elle est reliée par ce qu'on croyait être un collier noir-chic à une gigantesque machine. Elle sera comme contrainte par des fils invisibles, rigide, de réaliser des figures incroyables grâce à cette machine, comme elle sera, au bout de la séquence, clouée au ras du sol comme une poupée désarticulée. Icare déchu traîné par terre. Le même traitement sera appliqué exactement de la même manière, et dans le même climat oppressant, à trois autres "dames clonées" se rajoutant à elle successivement. Oui : une, puis deux, puis trois, puis quatre danseuses à la merci d'un "contrôle" de Manipulateur géant. Comme des marionnettes, elles sont suspendues et tentent de se libérer d'une "machine". Pauvres pantins essayant de retrouver un contrôle humain  - ou voulant atteindre une perfection sur-humaine ?- elles deviennent, par l'effet des ombres chinoises en fond de scène, des animaux ailés ou des chimères fantastiques. Hypnotique, ce spectacle de plus d'une heure, qui se veut répétitif jusqu'au malaise, laissera, lui aussi, les spectateurs médusés !

Concept et direction : Kris Verdonck
Dramaturgie : Marianne Van Kerkhoven
Interprétation : Annabelle Chambon, Alix Eynaudi, Gemma Higginbotham, Nikoleta Rafaelisova, Evline Van Bauwel
Musique "live" : Stefaan Quix
Construction/scénographie : Hans Luyten, Dirk Lauxers, Han Wannemakers, Raphaël Rubbens
Production : Margarita production for stillab en coproduction avec le Kaaitheater/Kunstencentrum Vooruit

Suzane VANINA (Bruxelles)

1) pour cette occasion, le Kaaitheater a sorti une luxueuse brochure en néerlandais relatant les étapes de son histoire, illustrée de nombreuses photos : "Humus 3",  avec suppléments anglais (The book is a good as the shows) et français (Trente ans /1977-2007)

- Du 23 au 26.1.2008 au Kaaitheaterstudio's : "Song of the Dragons Flying to Heaven"
- Du 7 au 9.2.2008 : "Mythobarbital" et ensuite impressionnante série de dates jusqu'en juillet 2008 à travers Flandre, Hollande avec une pointe jusqu'en Angleterre
- Les 26-27.2.2008 : "I/II/II/IIII de Kris Verdonck (idem :après Gand, la Flandre, la Suisse, Bruxelles, la Hollande…) 
Pour ces spectacles qui "tournent" donc beaucoup, voir l'agenda sur les sites : www.youngjeanlee.org - www.abattoirferme.be - www.margaritaproduction.be -

KAAITHEATER : Square Sainctelette, 20, 1000 – KAAITHEATERSTUDIO'S : rue Notre-Dame du Sommeil, 81 à 1000 Bruxelles tous les deux  - Tél : +32(0)2.201.59.65 - www.kaaitheater.be

Crédits photos © "Song of the Dragons…" : Carl Skutsc - "Mythobabital" : Stef Lernous - ""I/II/III/IIII": Giannina Urmeneta Ottiker

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25 février 2008 1 25 /02 /février /2008 22:39
UNE FARCE EN SES PIMENTS DE MOTS ET DE CORPS

La comédie de Gogol reste un inépuisable réservoir de mises en scène. Elle n’a rien perdu de sa vivacité, même si les magouilles qu’elle décrit en 1836 sont passées aujourd’hui du stade local au mondial, du bricolage individuel à la fraude internationale concertée.


Après la récente version de Christophe Rauck aux accents d’opérette, voici celle de Michel Dezoteux. Comme à son habitude, avec plus de rigueur que dans « l’Avare » où il s’était laissé aller à un baroquisme éclaté mais incohérent, le metteur en scène a pris le parti de la fantaisie débridée, qu’il traite cette fois à la façon d’une partition vocale et corporelle.

gogol-revizor-daniele_Pierre--1-.jpg
Chaque personnage exprime sa dégaine, sa gestuelle, ses tics au point que personne ne ressemble à personne, que chacun endosse une identité physique clownesque de pantin agité de l’intérieur par d’obsessionnelles pulsions nerveuses incontrôlables. Un véritable festival qui dépasse de loin l’étalage d’une panoplie de grimaces. Les voix empruntent un chemin identique. Le texte, plutôt prolixe, se voit traité comme une sorte de mélodie orchestrée selon les possibilités de chaque instrument de l’orchestre. Et que toutes les répliques ne soient pas toujours audibles dans leur totalité est négligeable.

L’important est l’énergie qui nourrit le spectacle sans discontinuer. Ça bouge, ça hurle, ça se démène comme dans les vaudevilles d’autrefois les plus échevelés. Les protagonistes cavalent. Les portes claquent à tous les étages. Les accessoires s’installent sans baisse de régime. Les entrées et les sorties s’entrecroisent au rythme d’une étape disputée contre la montre au Tour de France.

Des relations enchevêtrées

Le décor campe une architecture de médiocre grisaille au gigantisme administratif vaguement stalinien sur lequel contraste le polychrome des costumes et des maquillages. L’action, parfois soutenue par une musique jouée en direct, prend vite des allures de fourmilière dans laquelle vient d’être donné un majuscule coup de pied. Très vite apparaissent les alliances tissées entre les êtres, leurs retournements lâches, leurs opportunismes veules.

Du coup se dessinent des parallèles, des constitutions de duos qui misent sur des sortes de gémellités du genre Dupont et Dupond. Ainsi s’élaborent de successives confrontations entre maître et valet, mère et fille, partenaires sociaux ou intimes. Le tout devant la présence récurrente d’un vrai-faux aveugle, symbolisant à lui seul la situation désormais classique de ceux qui ferment volontairement les yeux sur les dysfonctionnements, l’aveuglement de ceux qui se convainquent qu’ils ont tous les droits à partir du moment où leur fut confié quelque pouvoir.

Michel VOITURIER (Bruxelles)

Texte : Nicolas Gogol (éd. Actes Sud, 1999)
Mise en scène : Michel Dezoteux , Glenn Kerfriden
Distribution : Rosario Amedeo, Karim Barras, Yoann Blanc, Eric Castex, Marcel Delval, Frédéric Dezoteux, Erwin Grünspan, Photios Kourgias, Yvain Juillard, Denis Laujol, Blaise Ludik, Emilie Maquest, Fanny Marcq, Denis Mpunga, Alexandre Trocki
Scénographie : Marco Vinals Bassols
Mouvements chorégraphiés : Nicole Mossoux, Lilian Bruinsma
Accessoires : Valérie Yourieffe
Costumes : Souad Kajjal
Lumière : Eric Vanden Dunghen
Maquillages : Jean-Pierre Finotto.

Production : manège.mons/Centre Dramatique, Théâtre Varia, Centre Dramatique de la Communauté
française Wallonie-Bruxelles, Théâtre de la Place - Centre Européen de création Théâtrale et chorégraphique


Création au Théâtre Le Manège Mons du 12 au 17 février 2008. (+32-(0)65/39.59.39)

Tournée : Théâtre Varia à Bruxelles du 21 février au 7 mars 2008 (+32-(0)2/640.82.58 ou www.varia.be) ; la Passerelle à Saint-Brieuc les 12 et 13 mars (+33 – (0)2.96.68.18.40 ou www.lapasserelle.info)

Photo © Danièle Pierre

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25 février 2008 1 25 /02 /février /2008 22:25
VARIATIONS SUR MEYERHOLD

Dans le cadre de la 20ème édition du festival « La Alternativa », Eduardo Pavlovsky reprend Variaciones Meyerhold, qui tourne avec succès depuis quelques années (Buenos Aires 2005,  Madrid 2006…). Dans ce spectacle, l’acteur argentin redonne vie au metteur en scène Vsevolod Meyerhold, exécuté en 1940 pour anticommunisme.


Rien. Noir et silence. Un plateau nu duquel émerge progressivement une chaise, et sur cette chaise, un homme. Meyerhold. Invité en 1939 à participer au Premier Congrès des metteurs en scène, il s’attendait à être honoré pour avoir consacré sa vie au théâtre. Taxé d’anticommunisme, il ne reçut que critiques et condamnations. C’est sur cet épisode, emblématique de l’engagement subversif de l’artiste russe, que Pavlovsky choisit d’ouvrir son spectacle. Rien d’étonnant. Pour cet Argentin, la  liberté de la création est loin d’être une évidence.

Elle passe, avec Variaciones Meyerhold, par un retour aux fondamentaux du théâtre : "l’espace vide" cher à Brook, un homme qui joue, d’autres qui regardent. L’homme qui joue, c’est Eduardo Pavlovsky. Acteur, auteur, metteur en scène et psychothérapeute, il est l’un des initiateurs du psychodrame en Amérique Latine. C’est avec talent, charisme et sensibilité qu’il interprète le rôle d’un autre homme de théâtre, Vsevolod Meyerhold. Elève rebelle de Stanislavski, Meyerhold est le concepteur de la biomécanique –une méthode d’entraînement de l’acteur-, mais aussi un metteur en scène d’avant-garde. Ses principes esthétiques et idéologiques, très éloignés du réalisme socialiste, lui coûteront la vie. Le tragique nimbe le spectacle d’une ambiance angoissante qui pourtant n’exclut ni le rire, ni la surprise. 

Le « quatrième créateur »

Car ceux qui regardent profitent pleinement de la représentation, la parachèvent. La scénographie, des plus économes, en appelle au relais de l’imagination spectatrice. Nous croyons en l’imagination comme en une arme révolutionnaire affirme Meyerhold, et avec lui Pavlovsky.

Brièvement épaulé par Susana Evans et Eduardo Misch (qui interprètent respectivement la femme de Meyerhold et Maïakovski), le comédien irradie la scène de sa présence généreuse, de son implication physique et de son amour de la salle. L’Argentin rejoint le Russe. Tous deux partagent une même foi dans le public, une même volonté de lui offrir le théâtre exigeant qu’il mérite. Le virulent réquisitoire prononcé contre les programmes distribués avant chaque représentation est particulièrement savoureux. Pourquoi ne pas faire confiance au public ? Pourquoi lui imposer d’emblée une grille d’interprétation nécessairement sclérosante ? Il y a  un quatrième créateur après l'auteur, après le comédien et le metteur en scène affirme Meyerhold. Ce créateur, c’est "le spectateur, […] qui doit, par son imagination, poursuivre d'une façon créative les allusions présentées sur scène." Il serait dès lors paradoxal de tomber avec cet article dans le travers dénoncé par Meyerhold. Mieux vaut s’en remettre au silence. Et à l’imagination du spectateur. C’est à son tour d’enrichir ces variations…   
 
Alexandra VON BOMHARD (Madrid).

Variaciones Meyerhold
Metteur en scène : Martín Pavlovsky
Assistant à la mise en scène : Eduardo Misch
Avec: Eduardo Pavlovsky, Susana Evans, Eduardo Misch.
Son: Martín Pavlovsky
Lumière : Leandra Rodríguez
Costumes : Maria Claudia Curetti

Sala Triangulo, les 25, 26 et 27 janvier 2008
c/ Zurita, 20,  28012 Madrid  - Tel : 91 530 68 91 - www.teatrotriangulo.com
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24 février 2008 7 24 /02 /février /2008 19:54
PROVOCATIONS À RÉPÉTITION

Un provocateur qui, à 80 ans, serait devenu sage ? Pour qui ne serait jamais entré dans l'univers d'Alejandro Jodorovwsky - par l'une ou l'autre porte : cinéma, BD, magie, lectures ou… théâtre - cela risque d'être un choc. Pour les fans ou intimes de "Jodo", nous sommes en pays de connaissance même si la forme risque d'être surprenante dans cette pièce pour acteurs et marionnettes.


C'est grâce à la création par la Cie Point Zéro de son "Opéra Panique"(1) que se fit la rencontre d'un auteur et d'une compagnie, et la promesse d'une pièce en création mondiale : "L'Ecole des Ventriloques". Ce Chilien d'origine judéo-slave, installé à Paris, passe pour être un provocateur. N'a-t-il pas eu pour complices Fernando Arrabal et Roland Topor aux beaux temps du "Théâtre Panique" ? Ses incursions cinématographiques ont laissé de mémorables souvenirs, fantastiques dans tous les sens du mot, et maintenant, si on le signale en compagnie des Meta-Barons et autres personnages de papier, on sait qu'il peut vous faire évoquer d'autres "personnes", encore plus immatérielles, si vous le "consultez" dans son "cabaret mystique", ou "psychomagique" parisien…

Une école de (double) vie, ou de mort


Le plateau du théâtre de la Balsamine accueille une bien curieuse école. On y pénètre en même temps qu'y choit, dans le jardin, un certain Céleste (?!) dont on ne saura pas grand' chose - délinquant en fuite ? simple quidam en errance ? - à qui sera imposé un enseignement très particulier sous la férule de profs autoritaires et du "Sacro-Saint-Directeur" (oui, c'est son nom à ce Big Brother à la Orwell, menaçant par image virtuelle). Sommes-nous encore dans ce qu'on appelle la "réalité"… dans celle, en tout cas, redéfinie par l'auteur Jodorowsky.

Le fond ésotérique est excellemment soutenu par la forme réalisto-baroque, par les formes devrait-on dire, et devrait-on parler de double distribution : les comédiens et les pantins (pour la plupart grandeur nature), les uns manipulant les autres et inversement ! Impressionnantes créations de Natacha Belova qui, avec (l'apprentissage d' une technique très exigeante par des comédiens devenus manipulateurs, sont de vrais personnages, saisissants de vérité. C'est que nous sommes loin du ventriloque traditionnel qui s'efface derrière une marionnette plutôt rigolote, généralement assise sur ses genoux ! Ici, c'est toute l'étrangeté de la situation duale (comme peut l'induire l'emploi de masques) qui est exploitée au maximum.

L--cole-des-ventriloques-2-copie-1.jpg
Grâce aussi à une scénographie inventive, cela devient de la peinture en mouvement, des corps à corps où l'on parle plutôt de doubles monstrueux qui s'extirpent de corps rendus à l'anonymat, en gardent des parties visibles (bras, pieds, mains…) et discutent face contre face, inflexions douces contre éructations grossières. Un homme-musique ne parait pas incongru dans une telle ambiance et y ajoute sa/ses note/s.

Comme dans toute quête Initiatique, le "héros" devra gravir sa "montagne magique"(2), se soumettre à des épreuves et savoir qu'il n'aura que trois chances de s'en sortir en faisant le bon choix de manipulation, ou l' "incarnation fantoche" adéquate… Répondra t-il à celui dicté par sa face sombre ou se voudra t-il "dans la peau" d'un saint, d'un héros, d'un génie ? Pour plutôt et de toute façon… rester enfermé et devenir esclave de ces pantins (ses bas instincts?).

Au-delà du point de départ, l'irruption dans cette école qui caricature une société autoritaire, concentrationnaire et liberticide, c'est une plongée dans les dédales de l'âme humaine, ses parts d'ombre, ses sentiments contradictoires et inavouables en même temps que ses idéaux et ses utopies qu'il nous faut faire. Dans un climat général cruellement drôle, bourré de symboles, métaphores et autres incitations à l'exploration intérieure - ou plus simplement au questionnement sur le métier d'acteur, son rapport avec son personnage - la réalisation due au metteur en scène et directeur de la compagnie, Jean-Michel d'Hoop, est parfaitement à la hauteur des ambitions de l'auteur.

Suzane VANINA (Bruxelles)

1) en 2004, accueil de la Cie au Théâtre des Martyrs, Bruxelles
2) Un de ses films les plus marquants, avec "El Topo" et "Santa Sangre" dont une séquence n'est pas  sans préfigurer l'idée du pantin, ou plutôt de l'être hybride, tenant de la chimère…

Texte : Alejandro Jodorowsky – Traduction : Brontis Jodorowsky
Mise en scène : Jean-Michel d'Hoop, assisté de Coralie Vanderlinden
Costumes et marionnettes : Natacha Belova assistée de Aurélie Vorremans, Sandrine Calmant, Emilie Plazolles, Françoise Van Thienen, Geneviève Periat, Isis Hauben
Coach marionnettes : Neville Tranter
Interventions vidéo : Michel Hébert
Scénographie : Aurélie Deloche, Natacha Belova, Michel Hébert, Jean-Michel d'Hoop
Composition et interprétation musicales : Pierre Jacqmin
Interprétation : Cyriel Briant, Sébastien Chollet, Pierre Jacqmain, Emmanuelle Mathieu, Fabrice Rodriguez, Anne Romain, Isabelle Wéry

Coproduction : Cie Point Zéro- Atelier Théâtre Jean Vilar/Théâtre de la Balsamine - Du 12 au 16.2.2008 et du 4.3 au 15.3.2008 au Théâtre de la Balsamine/Bruxelles - Tél : +32(0)2.735.64.68 – www.balsamine.be - Du 19 au 29.2.2008 au Théâtre Jean Vilar, Louvain-la-Neuve – info@atjv.be – www.ateliertheatrejeanvilar.be
Contacts Cie Point Zéro, Bruxelles : www.pointzero.be – compagniepointzero@yahoo.fr

Crédits photos © Elodie Juan


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