2 novembre 2006
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UNE RÉFLEXION SUR LE LANGAGE ET LES MAUX
Hugo LATTARD (Paris)
Gaspard
De Peter Handke
Metteur en scène Richard Brunel
Avec Olivier Werner, Nicolas Cartier, Julio Guerreiro, Anne Rotger
Théâtre Gérard Philippe Saint-Denis, 59 boulevard Jules Guesde 93207 Saint-Denis
Réservation : 01 48 13 70 10
Jusqu’au 12 novembre 2006.
Sur le mode de la conférence, deux experts en blouses grises vous préviennent. Vous n’êtes pas conviés à écouter une histoire mais à assister à une action théâtrale. Une débauche de faire à laquelle le public participe, pour contourner les mots, si suspects aux yeux de Peter Handke.
Influencé notamment par les travaux du philosophe Wittgenstein, son compatriote, l’auteur autrichien n’a eu de cesse d’interroger les propriétés du langage. Y compris du langage théâtral. « Y a-t-il un seul mot de moi dans ce que je dis ? », demande Samuel Beckett dans L’Innommable. Pour mettre à jour cette question, Peter Handke s’est inspiré d’un fait divers réel, survenu Outre-Rhin au début du XIXe siècle, et dont la singularité a suscité quantité d’interprétations, de Verlaine à Werner Herzog ou François Truffaut.
Photo © Bellamy
Kaspar Hauser a été retrouvé sur une place de Nüremberg. Après avoir passé toute son existence dans un cachot, enfermé par un geôlier qu’il n’a jamais vu. Le jour de sa découverte, il portait une lettre adressée au commandant des chevaux légers de la ville, et ne savait dire qu’une seule phrase : « cavalier veut comme père été ». Au delà, son esprit était vierge. Peter Handke s’est approprié cette histoire pour se concentrer sur l’émergence de la pensée, les méfaits de l’avènement aux mots. Comment le langage se retourne contre l’homme ? En quoi est ce un instrument d’asservissement ?
Extrêmement stimulant quoique ardu, ce texte de Handke dénonce l’oppression que subit l’homme civilisé, jusque dans ses retranchements ontologiques. Qu’a-t-il de personnel, lui qui ne peut (se) concevoir qu’au moyen d’un ordre général et prédéfini d’outils pour le faire ?
Sur la scène du théâtre Gérard Philippe, Gaspard (Olivier Werner ) vient, comme un enfant sauvage, se cogner contre le décor aseptisé et rigide d’une institution appelée à l’éduquer. Cette institution est à ce point sûre de la légitimité de son fait qu’elle se donne en spectacle. Le public joue son rôle. Celui de témoin d’une expérience à la rigueur scientifique. Sous ses yeux, Gaspard sera sans cesse soumis à des stimuli, tenu d’apprendre, de répéter, de se conformer.
Jouer avec le langage ou se jouer de lui ?
Actuellement en tournée, créée la saison dernière au Centre dramatique national de Nancy dont il est le metteur en scène associé, la pièce de Richard Brunel s’applique à briser « l’illusion théâtrale » que dénonce Handke. Notamment par une utilisation, non seulement du plateau, mais de tout l’espace du théâtre qui lui est imparti. L’attention de Richard Brunel se porte sur les deux issues potentielles de cette entrée au monde par le langage. La fabrication d’un monstre, ou l’émergence d’une poésie. « J’aimerais devenir comme celui qu’un autre a été un jour », acquiesce Gaspard face à ses tuteurs. Pourtant, il se rend bien compte que plus il est construit, plus il devient artificiel. Bien qu’au départ, il ne soit rien.
A rebours du traitement ludique et d’une froide ironie de la mise en scène, l’humanité de Gaspard apparaît de façon liminaire entre ce rien et son identité, qui est projetée sur lui de l’extérieur. Il en va ainsi, lorsque, très justement interprété par Olivier Werner comme étranger à lui même, il erre gauche et rétif dans cet espace, peinant à se soumettre à l’ordre qui s’impose à lui. Mais tout comme la mise en scène ouvre des échappatoires au sein du théâtre, Gaspard a une salutaire porte de sortie. Si le langage s’est joué de lui, il lui reste à son tour la possibilité de se jouer du langage. L’apanage des poètes.
Influencé notamment par les travaux du philosophe Wittgenstein, son compatriote, l’auteur autrichien n’a eu de cesse d’interroger les propriétés du langage. Y compris du langage théâtral. « Y a-t-il un seul mot de moi dans ce que je dis ? », demande Samuel Beckett dans L’Innommable. Pour mettre à jour cette question, Peter Handke s’est inspiré d’un fait divers réel, survenu Outre-Rhin au début du XIXe siècle, et dont la singularité a suscité quantité d’interprétations, de Verlaine à Werner Herzog ou François Truffaut.

Extrêmement stimulant quoique ardu, ce texte de Handke dénonce l’oppression que subit l’homme civilisé, jusque dans ses retranchements ontologiques. Qu’a-t-il de personnel, lui qui ne peut (se) concevoir qu’au moyen d’un ordre général et prédéfini d’outils pour le faire ?
Sur la scène du théâtre Gérard Philippe, Gaspard (Olivier Werner ) vient, comme un enfant sauvage, se cogner contre le décor aseptisé et rigide d’une institution appelée à l’éduquer. Cette institution est à ce point sûre de la légitimité de son fait qu’elle se donne en spectacle. Le public joue son rôle. Celui de témoin d’une expérience à la rigueur scientifique. Sous ses yeux, Gaspard sera sans cesse soumis à des stimuli, tenu d’apprendre, de répéter, de se conformer.
Jouer avec le langage ou se jouer de lui ?
Actuellement en tournée, créée la saison dernière au Centre dramatique national de Nancy dont il est le metteur en scène associé, la pièce de Richard Brunel s’applique à briser « l’illusion théâtrale » que dénonce Handke. Notamment par une utilisation, non seulement du plateau, mais de tout l’espace du théâtre qui lui est imparti. L’attention de Richard Brunel se porte sur les deux issues potentielles de cette entrée au monde par le langage. La fabrication d’un monstre, ou l’émergence d’une poésie. « J’aimerais devenir comme celui qu’un autre a été un jour », acquiesce Gaspard face à ses tuteurs. Pourtant, il se rend bien compte que plus il est construit, plus il devient artificiel. Bien qu’au départ, il ne soit rien.
A rebours du traitement ludique et d’une froide ironie de la mise en scène, l’humanité de Gaspard apparaît de façon liminaire entre ce rien et son identité, qui est projetée sur lui de l’extérieur. Il en va ainsi, lorsque, très justement interprété par Olivier Werner comme étranger à lui même, il erre gauche et rétif dans cet espace, peinant à se soumettre à l’ordre qui s’impose à lui. Mais tout comme la mise en scène ouvre des échappatoires au sein du théâtre, Gaspard a une salutaire porte de sortie. Si le langage s’est joué de lui, il lui reste à son tour la possibilité de se jouer du langage. L’apanage des poètes.
Hugo LATTARD (Paris)
Gaspard
De Peter Handke
Metteur en scène Richard Brunel
Avec Olivier Werner, Nicolas Cartier, Julio Guerreiro, Anne Rotger
Théâtre Gérard Philippe Saint-Denis, 59 boulevard Jules Guesde 93207 Saint-Denis
Réservation : 01 48 13 70 10
Jusqu’au 12 novembre 2006.