CRUAUTE ANORMALE
Cinq comédiens aux capacités mentales réduites déchaînent leurs démons. Ce spectacle venu de loin, au contenu mince et à la cruauté facile, repousse les limites morales du théâtre et démontre le choix du KunstenFESTIVALdesArts de s’ancrer dans l’ultra-contemporain.
Les affiches du spectacle annoncent la couleur : deux femmes aux traits trisomiques, débordantes de graisse, affublées d’un maillot de corps jaune et de collants stretchs, telles des danseuses étoiles. Dès qu’elles entrent en scène, nos stéréotypes de la beauté et de la normalité sont interrogés.
Les acteurs sont accompagnés dans leur parade scénique par la musique live du groupe « The Necks ». Piano, basse et percussions créent, en même temps que l’image et l’action scéniques, un climat de froide horreur, de stupéfaction paralysante, d’angoisse, jusqu’au mal-être physique (ou mal de crâne).
Le peu de texte du « show » a été écrit par les comédiens, et on imagine le long travail de mise en scène pour qu’ils maîtrisent ainsi leurs déplacements et répliques. Mais l’objectif n’est pas que l’on s’étonne de leurs prouesses : leurs rôles ne les rendent pas attendrissants. Ils sont au contraire béatement cruels. D’une cruauté sordide et voyeuriste envers la différence.
Pare-chocs
Sont-ce nos propres comportements envers eux qu’ils ont voulu exorciser en se mettant en scène ? La petite mince supportera les cris et insultes des deux autres : « you’re fat » ; elle sera obligée de se déshabiller et de leur offrir, sous nos yeux offensés, une danse oscillant entre la beauté anormale et le constat macabre d’une torture.
Entre nous et elles, un immense écran estompe les formes, distille les couleurs, affiche leurs ombres. Au loin, dans une forêt obscure, des bourreaux interrogent notre rapport à l’être, et à la sexualité, dans l’exercice d’un pouvoir malsain.
Nos perceptions habituelles sont brouillées. Les techniques utilisées pour la scénographie sont remarquables, les effets réussis, la musique intrinsèquement liée au climat créé, les acteurs sans doute fiers de ce qu’ils transmettent. Le choc est radical, et pourtant, le public, ne trouvant pas vraiment sa place dans le spectacle, reste émotionnellement et physiquement passif.
Julie LEMAIRE (Bruxelles)
Les 2,3, 4 et 5 mai 2009 au KVS (www.kvs.be) à 20h, dans le cadre du KunstenFESTIVALdesArts (www.kfda.be)
Food court
Anglais sur-titré FR/NL
Texte, mise en scène et scénographie : Bruce Gladwin
Texte et performance : Marc Deans, Rita Halabarec, Nicki Holland, Sarah Mainwaring, Scott Price
Musique : The Necks – Chris Abrahams (piano), Tony Buck (percussions), Lloyd Swanton (basse)
Conception et construction décor : Mark Cuthbertson
Conception lumière et direction technique : Andrew Livingston, Bluebottle
Production : Back to back theatre (Australie)
Photo © Jeff Busby