16 avril 2009
4
16
/04
/avril
/2009
13:28
HUMANITÉS EN FAILLITE
Thomas Ostermeier n’a pas fini d’exploiter la veine ibsenienne comme troublant miroir de nos drames contemporains. Pour sa quatrième mise en scène de l’auteur norvégien, le directeur artistique de la Schaubühne de Berlin, nous plonge dans l’univers glacial d’un théâtre d’existences sur le déclin. Autour de John Gabriel Borkmann, figure emblématique de la sclérose sociale ambiante, les comptes de famille se règlent durement. Ce spectacle, vu à Paris au Théâtre de l'Odéon, est en tournée européenne.
Depuis la percutante Nora (Maison de poupée, 2002)) on connaît la pertinence d’Ostermeier à transfigurer les drames d’Ibsen à notre époque. Cette fois-ci, il vise particulièrement juste : le personnage de Borkman a tout d’un banquier déchu des temps modernes.
Malgré sa peine de prison, Borkman, investisseur ambitieux n’a jamais abandonné son fantasme de grand empire industriel. En utilisant frauduleusement l’argent de ses clients l’homme était alors convaincu d’agir pour le bien de l’humanité. Pour sa carrière, il a sacrifié Ella son ancien amour sœur jumelle de sa femme. Dans sa chute, il a entraîné sa femme Gunhild, ruinée. C’est alors qu’Ella, atteinte d’un mal incurable, revient après huit ans d’absence pour récupérer Erhart, fils de Borkman qu’elle a élevé en partie. L’heure est aux négociations amères entre ces figures humiliées, animées par leur seul préjudice. Dans un élan tout aussi cruel que pathétique, elles s’arrachent ce qu’elles considèrent comme leur dû.
Minimalisme et surréalisme
La pièce est portée par le jeu irréprochable des acteurs de grande envergure : le trio Joseph Bierbichler (Borkman), Angela Winkler (Ella) et Kirsten Dene (Gunhild) décline des figures tantôt accablées tantôt cyniques, créatures froides, misérables et impitoyables. En contrepoint au réalisme intransigeant d’Ibsen, la scénographie impeccable de Jan Pappelbaum se met au service de la mise en scène minimaliste : la manoir d’Ella a des allures de cellule psychiatrique, lumière blanche néon ethérée, mobilier restreint, espace aseptisé . La fumée omniprésente, comme en echo à la fragilité des relations, jette un flou inquiétant sur le réel, rend l’atmosphère flottante. L’effet est surréaliste et perturbe tout en finesse la tension contenue.
Ostermeier travaille ici la subtilité de la lenteur, l’éloquence des silences, l’ultra-précision du jeu. L’effet d’angoisse est saisissant. Pourtant l’ensemble arrive à déranger par trop de perfectionnisme. A se demander si à vouloir une composition ultra-léchée la mise en scène ne perd pas en intensité. En comparaison à ses précédents travaux sur Ibsen, il manque ici la frénésie. On regrette en effet la rage jubilante de Nora ou la sublime révolte d’Hedda Gabler.
Le metteur en scène underground berlinois se serait-il assagit ? Difficile de le croire au regard de son explosif Hamlet (2008). C’est que John Gabriel Borkman n’est peut-être pas à considérer comme un produit fini mais comme un autre chapitre dans la logique d’Ostermeier d’expérimentation continue de la scène.
John Gabriel Borkman de Henrik Ibsen
Mise en scène : Thomas Ostermeier
Dramaturgie : Marius von Mayenburg
Scénographie : Jan Pappelbaum
Costumes : Nina Wetzel
Musique : Nils Ostendorf
Lumière : Erich Schneider
Surtitrage : Uli Menke
Avec Joseph Bierbichler, Kirsten Dene, Sebastian Schwarz, Angela Winkler, Cathlen Gawlich, Felix Römer, Elzemarieke de Vos.
Durée 1h50
Une coproduction de la Schaubühne de Berlin, le Théâtre National de Bretagne et les Ruhrfestspiele Recklinghausen.
Après le TNB de Rennes (fin décembre 2008) et l'Odéon de Paris (début avril 2009), « Borkman » sera présenté à Tampere (Finlande) en août prochain, à Modène (Italie) en octobre et à Liège (Belgique) en décembre.
Thomas Ostermeier n’a pas fini d’exploiter la veine ibsenienne comme troublant miroir de nos drames contemporains. Pour sa quatrième mise en scène de l’auteur norvégien, le directeur artistique de la Schaubühne de Berlin, nous plonge dans l’univers glacial d’un théâtre d’existences sur le déclin. Autour de John Gabriel Borkmann, figure emblématique de la sclérose sociale ambiante, les comptes de famille se règlent durement. Ce spectacle, vu à Paris au Théâtre de l'Odéon, est en tournée européenne.
Depuis la percutante Nora (Maison de poupée, 2002)) on connaît la pertinence d’Ostermeier à transfigurer les drames d’Ibsen à notre époque. Cette fois-ci, il vise particulièrement juste : le personnage de Borkman a tout d’un banquier déchu des temps modernes.
Malgré sa peine de prison, Borkman, investisseur ambitieux n’a jamais abandonné son fantasme de grand empire industriel. En utilisant frauduleusement l’argent de ses clients l’homme était alors convaincu d’agir pour le bien de l’humanité. Pour sa carrière, il a sacrifié Ella son ancien amour sœur jumelle de sa femme. Dans sa chute, il a entraîné sa femme Gunhild, ruinée. C’est alors qu’Ella, atteinte d’un mal incurable, revient après huit ans d’absence pour récupérer Erhart, fils de Borkman qu’elle a élevé en partie. L’heure est aux négociations amères entre ces figures humiliées, animées par leur seul préjudice. Dans un élan tout aussi cruel que pathétique, elles s’arrachent ce qu’elles considèrent comme leur dû.
Minimalisme et surréalisme
La pièce est portée par le jeu irréprochable des acteurs de grande envergure : le trio Joseph Bierbichler (Borkman), Angela Winkler (Ella) et Kirsten Dene (Gunhild) décline des figures tantôt accablées tantôt cyniques, créatures froides, misérables et impitoyables. En contrepoint au réalisme intransigeant d’Ibsen, la scénographie impeccable de Jan Pappelbaum se met au service de la mise en scène minimaliste : la manoir d’Ella a des allures de cellule psychiatrique, lumière blanche néon ethérée, mobilier restreint, espace aseptisé . La fumée omniprésente, comme en echo à la fragilité des relations, jette un flou inquiétant sur le réel, rend l’atmosphère flottante. L’effet est surréaliste et perturbe tout en finesse la tension contenue.
Ostermeier travaille ici la subtilité de la lenteur, l’éloquence des silences, l’ultra-précision du jeu. L’effet d’angoisse est saisissant. Pourtant l’ensemble arrive à déranger par trop de perfectionnisme. A se demander si à vouloir une composition ultra-léchée la mise en scène ne perd pas en intensité. En comparaison à ses précédents travaux sur Ibsen, il manque ici la frénésie. On regrette en effet la rage jubilante de Nora ou la sublime révolte d’Hedda Gabler.
Le metteur en scène underground berlinois se serait-il assagit ? Difficile de le croire au regard de son explosif Hamlet (2008). C’est que John Gabriel Borkman n’est peut-être pas à considérer comme un produit fini mais comme un autre chapitre dans la logique d’Ostermeier d’expérimentation continue de la scène.
Elsa ASSOUN (Paris)
John Gabriel Borkman de Henrik Ibsen
Mise en scène : Thomas Ostermeier
Dramaturgie : Marius von Mayenburg
Scénographie : Jan Pappelbaum
Costumes : Nina Wetzel
Musique : Nils Ostendorf
Lumière : Erich Schneider
Surtitrage : Uli Menke
Avec Joseph Bierbichler, Kirsten Dene, Sebastian Schwarz, Angela Winkler, Cathlen Gawlich, Felix Römer, Elzemarieke de Vos.
Durée 1h50
Une coproduction de la Schaubühne de Berlin, le Théâtre National de Bretagne et les Ruhrfestspiele Recklinghausen.
Après le TNB de Rennes (fin décembre 2008) et l'Odéon de Paris (début avril 2009), « Borkman » sera présenté à Tampere (Finlande) en août prochain, à Modène (Italie) en octobre et à Liège (Belgique) en décembre.