PALE SUBVERSION
A cause d’une mise en scène plutôt mollassonne, la fulgurance du phrasé de Boris Vian n’atteint pas son plein rendement. Si vocalement, les intervenants convainquent, ils n’en demeurent pas moins dans un quasi perpétuel état de désincarnation de leurs textes.
« C’qui prouv’ qu’en protestant, quand il est encore temps, on peut finir par obtenir des ménagements ». La phrase qui clôture le spectacle sonne comme un couperet prémonitoire. Elle date de 1954 et est extraite de l’anticléricale et antisociale chanson « On n’est pas là pour se faire engueuler ». Nous sommes dans les années 50. Boris Vian enregistre une émission radio faite de ses chansons, de ses textes, de pubs, de flash info. Tout va y passer pour clouer cette société bien pensante à son pilori, à commencer par les deux inévitables credo « vianesques » : verve antimilitariste et pacifisme virulent.
Sur scène, ils sont trois à défendre cette richesse langagière, cette fougue discursive. Des extraits de « L’Ecume des jours » et « J’irai cracher sur vos tombes », la géniale « Java des bombes atomiques » qu’immortalisa aussi Reggiani, le cinglant mais drôlissime « J’suis snob »… Les trois artistes chantent bien, ne sont pas mauvais comédiens et font preuve d’un réel savoir-faire, d’une concentration appliquée que pourrait rehausser un décor joliment foutraque.
Une scène trop grande
Et pourtant, ça cloche quelque part. Une impression que la scène est trop grande pour eux, qu’ils n’assument pas complètement la folie que sous-tend le texte qu’ils défendent. La mise en scène se permet quelques passages en dehors des clous mais ils sont rares et très courts. Le plus souvent, c’est un chemin balisé que suivent ces trois compères. Nous sommes alors tellement loin de l’univers de Vian qui nous transporte, nous surprend, nous dynamite le quotidien. Lire Vian c’est s’exposer à dépasser le réel, c’est accepter un jeu dont jamais on ne détiendra les règles, c’est prendre un chemin et tomber dans un trou béant avec tout le bonheur que confère l’inattendu, c’est déserter les rivages du conventionnel. Tant de choses dont ce spectacle ne rend jamais compte, prenant juste le temps de se jouer sans autre ambition que d’enchaîner méthodiquement, laborieusement les morceaux.
Bien sûr, il reste le texte de Vian, mais presque délesté de sa fougue subversive par cette mise en scène sans grand relief.
Boris Vian, juste le temps de vivre
Spectacle musical de François Bourgeat et Jean-Louis Jacopin
Textes : Boris Vian
Mise en scène : Jean-Louis Jacopin
Montage : François Bourgeat
Avec Gabrielle Godart, Arnaud Laurens, Suzanne Schmidt
Décor : Jacques Abinum
Costumes : Cidalia Da Costa
Lumières : Jean-Luc Chanonat
Théâtre de Ménilmontant, 15 rue du Retrait, 75020 Paris (Métro : Ménilmontant)
Jusqu’au 15 mars, du mardi au samedi à 20h30, dimanche à 16h30, représentations supplémentaires les 7 et 14 mars
Durée : 1h20