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Festival d'Avignon

30 mai 2006 2 30 /05 /mai /2006 09:25
SONGE D'UNE NUIT TORRIDE

Encore un « Tramway », diront certains. D’autres, et pas des moindres, répéteront, inlassablement qu’ « on a tous quelque chose en nous de Tennessee ». Nous n’allons pas nous lamenter de cette percutante universalité des œuvres théâtrales, qui, de décennies en décennies, semblent toujours plus actuelles. Avec cette nouvelle mise en scène d’Elsa Royer, la magie opère encore une fois et nous y sommes : « ce rêve en nous avec ses mots à lui », et, nous, déjà bien heureux d’être, le temps d’une soirée, perméables à la lumière de ce grand auteur.

Arrivée à la Nouvelle-Orléans par un tramway dont le nom est « désir », Blanche Dubois découvre l’univers chancelant dans lequel vit sa sœur Stella avec sa brute de mari. Loin de la joliesse de leur enfance et des rêves encore enfouis dans la tête de Blanche, la vie de Stella est régie par les va-et-vient sensuels de son mari Stanley dont les intérêts se résument au jeu, aux femmes et à la brutalité. Blanche va semer le trouble dans ce petit univers avec ses mensonges et ses rêves, et par-dessus tout ce désir d’être aimée à n’importe quel prix.

Blanche rêve. Blanche est à fleur de peau. Elle refuse de se glisser dans les habits que lui a proposé la vie. Elle recrée, dans un univers cotonneux de mensonges, une vie à l’image de ses désirs. Elle chamboule l’indolente existence de sa sœur Stella et de son beau-frère, le bestial Stanley. Le choc inexploré encore de deux mondes, dont la dichotomie éprouve le spectateur. Et nous ondulons au rythme de ces ravages amoureux qui se déroulent sous nos yeux dans un décor épuré, avec, pour toute structure, des caisses d’alcool posées ça et là et des rideaux de plastique judicieusement installés par la scénographe Danièle Rosier afin d’imprimer au jeu des acteurs une sorte de fumée déformante et à l’atmosphère un trouble sensoriel. Chaque être immanent du théâtre de Tennessee Williams est foncièrement habité par une palette d’états psychiques qui déteignent sur le spectateur par la justesse même des mots. Incompréhension, frustration, culpabilité, homosexualité toujours présente, névroses, brutalité de la passion, sensualités des corps à corps, complexité des cœurs à cœurs…

Les acteurs de cette pièce nous embarquent sur ces rails de désir et de destruction passionnelle et passionnante avec des jeux impeccablement maîtrisés. La chemise ouverte, le torse velu, Stanley, sous les traits d’Alexandre Chacon, expose toute sa vivacité charnelle et sensuelle à la jeune Gaëlle Billaut-Danno, au raffinement parfait, qui interprète Blanche avec une jolie habileté pour faire cohabiter, dans une même surface de peau, fourrures et diamants, poésie et fureur, folie et désespoir. Le spectateur se verra vite emporté dans la moiteur du désir de Tennessee Williams, dans cette danse charnelle rythmée par la bande-son entêtante et idéalement adéquate et les lumières épousant la déroute des personnages avec soin. A voir pour s’émouvoir.

Olivia MICHEL (Paris)

Un Tramway nommé désir, de Tennessee Williams
Mise en scène Elsa Royer
Avec : Gaëlle Billaut-Danno, Alexandre Chacon, Violaine Fumeau-Silhol, Nicky Marbot. Scénographie : Danièle Rozier - Lumières : Jonathan Douchet - Création sonore : Frédéric Pérez

Théâtre Mouffetard - 73, rue Mouffetard 75005 Paris - Tél : 01 43 31 11 99
Métro : Place Monge (ligne 7) - Direction : Pierre Santini
Du mardi au samedi 21h Dimanche 15h
Jusqu’ au 25 Juin 2006

Extrait
« Je ne veux pas de réalisme… Je veux… de la magie ! Oui, oui, de la magie ! C’est ce que je cherche à donner aux autres. J’enjolive les choses ; je ne dis pas la vérité, je dis ce qu’elle devrait être ! Que je sois damnée si c’est un péché… »
Blanche DuBois, Un Tramway nommé Désir.
 
Note du metteur en scène : Elsa Royer
Par ces mots, Blanche DuBois, l’héroïne d’Un Tramway nommé Désir, pièce mythique de Tennessee Williams, revendique son regard subjectif sur le monde. Son univers fictif tissé d’art, de rêves et de littérature se heurte violemment à celui de Stanley et Stella, ancré dans le réel et les plaisirs bruts.
J’ai voulu souligner la radicalité de cette confrontation en abordant la mise en scène du point de vue de Blanche : le jeu des trois autres personnages lorsqu’ils sont en sa présence, ainsi que la scénographie, sont le reflet de son regard sur les choses. L’indolence de Stella est ainsi parfois extrême, la gaucherie de Mitch accentuée par un objet transitionnel (poupée), et la sensualité de Stanley apparaît aux limites du supportable. Les rideaux de fumée plastique du décor marquent une ligne de démarcation entre l’univers de bois brut de Stella et Stanley, et le flouté hollywoodien de Blanche, derrière les rideaux. Les cinq sens, exacerbés, concourent à l’expression de la subjectivité de Blanche : le toucher (humidité et nudité, désir électrique), la vue (jeux d’ombre hollywoodiens, lanterne chinoise), l’odorat (parfum vaporisé de Blanche), le goût (alcool omniprésent, symbolique du plaisir et de la destruction), et l’ouïe (Blanche est parcourue de chansons créées autour des stars d’Hollywood contemporaines de la pièce, étrangement fredonnées par une voix d’enfant).
Cette subjectivité revendiquée est bien entendu une mise en abîme du travail du metteur en scène, dont le regard sur une œuvre est forcément partial. Mais elle permet également de nous interroger sur la notion de folie et de normalité. Qui, de Blanche ou des autres personnages, paraît le plus équilibré ?... C’est au spectateur, et à lui seul, d’en décider, après cette plongée intime et chaude dans la psyché de l’héroïne.

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