LA FIEVRE ET LE FEU
Cinquante ans après le film de Kazan, la « Baby Doll » de Tennessee Williams s’installe à l’Atelier. Une mise en scène qui, sous des airs de classicisme, capte toutes les sulfureuses émanations du texte que portent haut cinq comédiens magnifiques.
Baby Doll a la beauté outrageante et ravageuse qui conduit tous les hommes au bord du précipice de la folie. Son mari, Archie, brute épaisse beaucoup plus âgée qu’elle, attend de pouvoir consommer le mariage, moment prévu le soir même, date des vingt ans de la jeune femme. Mais les affaires vont mal en cette période de récession et Archie, alcoolique notoire, va se mettre dans un nauséeux bourbier en se faisant soupçonner de pyromanie à l’encontre du « rital » Silva, propriétaire d’un hangar à coton. Le charismatique Silva se livre alors à un chantage dont l’objet est Baby Doll.
S’il est vrai qu’on a « tous en nous quelque chose de Tennessee » comme l’a écrit Michel Berger, c’est bien parce que l’auteur de « La Chatte sur un toit brûlant » et « Un tramway nommé Désir » a capté avant tout la solitude intrinsèque à l’homme et contre laquelle il se débat avec ses dérisoires moyens. Au risque de s’y enfoncer plus encore et d’atteindre les profondeurs abyssales du gouffre. Gouffre de la folie, fille aînée de la solitude.
Personnages en eaux troubles
Baby Doll est à ce titre très emblématique de l’œuvre du dramaturge américain. Aucun des personnages de cette pièce ne navigue en eaux claires. Pas plus la gouvernante (magnifique Monique Chaumette) qui déleste les mourants dans les hôpitaux des chocolats qui leur sont offerts que Silva (impeccable Xavier Gallais) prêt à tout pour obtenir moins Baby Doll que sa virginité. Les rapports de force qu’induit cette bassesse humaine, véritable credo du dramaturge, ne sont alors que déséquilibres et dangerosité potentiels. En ce sens, la mise en scène de Pierre Laville sert admirablement cette double sensation.
L’espace est occupé par le décor gigantesque d’une maison de bois bringuebalante sur deux étages aux multiples portes dérobées comme autant de fuites possibles mais aussi d’échelles, d’un escalier branlant qui tremblent sous le poids des personnages au plus fort de leurs déplacements souvent très athlétiques (Silva notamment). La salle frémit à plusieurs reprises devant ce tourbillon de feu et de fièvre dans lequel l’emportent les personnages en perpétuel flux tendu. Sur fond de racisme, de corruption, de déliquescence des valeurs humaines, ce spectacle sulfureux que portent cinq comédiens en état de grâce est tout simplement une grande réussite.
Franck BORTELLE (Paris)
Baby Doll
De Tennessee Williams
Version scénique : Pierre Laville
Mise en scène : Benoît Lavigne
Collaboration artistique : Sophie Mayer
Décor et costumes : Laurence Bruley
Lumière : Fabrice Kebour
Son : Vincent Butori et Jean-François Thomelin
Avec Mélanie Thierry, Xavier Gallais, Chick Ortega, Monique Chaumette et Théo Légitimus
A partir du 20 janvier 2009 du mardi au samedi à 21heures, matinées le samedi à 17h30 et le dimanche à 16 heures.
Théâtre de l’Atelier, Place Charles Dullin, 75018 Paris
Location : 01 46 06 49 24 et theatre-atelier.com
Durée : 1h40
Photo Peter Lindbergh