DOUBLE JEU
Au Théâtre de la Ville, après la reprise de « Wiesenland », pièce dans laquelle Pina Bausch poursuit ses voyages terrestres et les traduit en images du monde -là, la Hongrie, ses bains, ses eaux...-, la chorégraphe allemande donne « Sweet Mambo », morceau subtil et grinçant sur les jeux de la séduction.
Peu après le lever de rideau, ce « Sweet Mambo » paraît s'inscrire directement dans le lexique des œuvres récentes de Pina Bausch : belles femmes blondes ou brunes portant longues robes légères et brillantes où le vent glisse et enveloppe ces corps sans les cacher vraiment ; beaux garçons élégants tout de noir vêtus. C'est un peu la marque récente de la chorégraphe que l'on croit reconnaître, d'autant que la bande son est toujours aussi richement nourrie, ici de thèmes pop mâtinés latinos... façon mambo.
Mais attention. Derrière cette légèreté de l'être, derrière ce patchwork de musiques qui vous font balancer sur votre siège (Barry Adamson, Lisa Ekdahl, Brian Eno, Hazmat Modine, Portishead, etc..), derrière ce glamour de façade, la chorégraphe distille avec un savoir-faire redoutable les poisons de la vie qui entrainent les perturbations des âmes.
De la séduction et autres troubles
A coup de saynètes de danses et de paroles, Pina Bausch injecte sous perfusion à ses neuf danseurs et danseuses l'acide de la séduction qui provoque des réactions, drôles a priori comme cette femme alanguie sur un énorme oreiller tenu par deux hommes ou cette autre encore qui se fait embrasser dans le dos... Et quand la belle danseuse Regina (Advento) arrive sur le plateau de scène quand les premières notes de musique envahissent la salle, c'est pour vite répéter aux spectateurs : « Je m'appelle Regina..., Regina.... ne l'oubliez pas ». D'autres danseuses prendront la même posture au cours du spectacle.
Mais au delà de ces sentiments de désirs amoureux pointent aussi les questions existentielles : qui sommes nous ? Intimement, socialement ? Derrière ces rideaux blancs qui se gonflent sous la puissance d'un vent de soufflerie apparaissent des ombres, des silhouettes qui sont comme des fantômes des personnages que Pina Bausch a créés depuis des années. Sur ces voiles, le décorateur Peter Pabst projette des images en noir et blanc d'un film allemand, « La Belle Hongroise », avec la belle Zarah Leander. Cette comédie légère date de ... 1938. Les années de plomb du nazisme arrivent à leur apogée.
Piqure de rappel : la séduction peut être aussi une drogue empoisonnée. Pina Bausch n'oublie rien. C'est en cela, aussi, que « Sweet Mambo » est une pièce remarquable.
Jean-Pierre BOURCIER (Paris)
« Sweet Mambo »
Mise en scène et chorégraphie : Pina Bausch
Décor et vidéos : Peter Pabst
Costumes : Marion Cito
Collaboration musicale : Matthias Burket, Andreas Eisenschneider
Dans le cadre de la saison France-Nordrhein-Westfalen.
Jusqu'au 30 janvier 2009
Au Théâtre de la Ville, Place du Châtelet 75004 Paris.
Location : 01 42 74 22 77
Photo Laurent Philippe