PAR LA GRACE DE L’ABSURDE
Ovni théâtral à plus d’un titre, cette « Page 157 » ravira les esprits épris de vagabondages délurés où l’on aime à perdre pied dans les méandres d’un récit baroque et surréaliste. Les cartésiens purs et durs auront plus de mal à entrer dans cet univers où l’absurde est érigé en règle d’or. La mise en scène et le jeu des comédiens pourraient en revanche mettre tout le monde d’accord.
La scène est plongée dans un noir total. Une voix à la radio annonce en l’espace de quelques minutes une hausse des températures de 50 degrés. Il est quatre heures du matin. Phil reçoit la visite de sa voisine qui veut lui emprunter son aspirateur. Phil est de ces êtres éreintés par la vie : sa femme est partie, il n’a plus de boulot, son appartement s’enfonce, son frigo est HS et envoie des fax…
En quelques minutes, le décor est planté. Nous n’allons pas naviguer sur un long fleuve impassible avec dans une main la rame du cartésianisme et dans l’autre celle du réalisme, apanages du genre policier duquel ce spectacle se revendique pourtant. L’imaginaire va submerger les quelques balises auxquelles on espérerait se raccrocher. Il faut accepter de se laisser mener dans cette histoire de mémoire incertaine, d’attraction des corps et de confusion des sentiments.
Entre « Un jour sans fin » et « La Rose pourpre du Caire »
Pour peu que l’on accepte cette règle implicite que propose ce récit plutôt déroutant, le plaisir est réel. Un univers nous ouvre ses portes. Fantasque et absurde dans lequel il est bon de s’enfoncer pour mieux revenir à la surface lorsque une relative logique vient soudain nous remettre sur pieds. Courte trêve, bien sûr…
Au milieu de cet univers fantasmatique que souligne d’ailleurs un décor en trompe l’œil, les personnages apportent en revanche un solide réalisme, qu’incarne notamment le magnifique Wilfried Romoli, danseur étoile de l’Opéra de Paris. Jamais démonstratif de son savoir-faire dans ce domaine en se contentant de quelques mouvements chorégraphiés, il offre un jeu de comédien d’une virilité et d’une puissance surprenantes. Ses partenaires féminines lui donnent joliment la réplique.
Sans les citer, ce spectacle fait allusion à « Un jour sans fin » et « La Rose pourpre du Caire », deux films auxquels il ressemble plus qu’il n’y paraît, tant par sa drôlerie que son inventivité, son décalage que l’impression durable qu’il laisse dans les esprits. Positivement ou négativement durable ? C’est à chacun, avec ses capacités à se laisser emporter loin des rivages du convenu, d’en décider.
Franck BORTELLE (Paris)
Page 157
D’Emmanuel Dupuis et Bruno Dallaporta
Mise en scène conçue par Serge Lalou et réalisée par Valérie Berman et Serge Lalou
Avec Agathe Berman, Karine Huguenin, Claire Lise et Wilfried Romoli
Lumières : Jeanne Lapoirie
Décors : Laure Lepelley
Costumes : Valérie Berman
Musique originale : Baptiste Houssin
Théâtre de l’Essaïon, 6 rue Pierre au Lard, 75004 Paris (Métro : Hôtel de Ville ou Rambuteau)
Réservations : 01 42 78 46 42 et points de ventes habituels
Du 17 novembre 2008 au 20 janvier 2009
Les lundis et mardis à 21h30
Durée : 1h20
Photo Alberto PITOZI