ECHANGES ET MAUVAIS PROCEDES
A force de transactions maladroites, Jean finit par perdre tous ses biens. La compagnie du Centre dramatique de La Courneuve s’attache à souligner toute l’ironie du texte de Brecht, parfois un peu trop. Un excès de zèle qui n’empêchera pas d’apprécier cette pièce amère et encore mystérieuse, bien servie par une galerie de comédiens attachants.
Jean est un bienheureux. Le ciel, changeant mais toujours beau, le soleil, les amis, même faux, tout cela le contente et suffit à son bonheur. Propriétaire fermier et époux de la douce Jeanne, Jean finira pourtant seul, le nez dans le ruisseau, physiquement dégradé mais le cœur en joie de pouvoir contempler le ciel étoilé.
Cette pièce « neuve » de Bertold Brecht a été découverte il y a une dizaine d’années seulement et est restée inachevée, le jeune auteur s’attelant alors, en 1919, à la rédaction de Baal. Qu’aurait donc dû être la fin de Jean La Chance ? Il est vraisemblable de penser que le calvaire de Jean ne se serait pas arrêté là tant Brecht s’était fait un main plaisir à tourmenter son pauvre personnage, incapable de dire non à tous ceux qui ont essayé de le dépouiller de ses biens. Il y eut d’abord Jeanne, enlevée par le rusé Monsieur Feili en échange du bonheur de sa femme, puis sa ferme, échangée contre deux carrioles de marchands, puis la carriole qui n’avait pas été volée par un soi-disant ami contre un carrousel, puis le carrousel contre Jeanne enceinte… Jean est-il comme un martyr s’abandonnant aux crocs des lions afin de se rapprocher de la révélation divine, ou bien est-il simplement un idiot incapable de voir qu’on le manipule ? La mise en scène de Elisabeth Hölzle fait pencher la balance du côté d’un Jean benêt.
Rats de laboratoires
Ou plutôt d’un Jean La Chance virginal, comme le blanc de son costume, exempt de toute pensée mauvaise et exposé par une main invisible à la cruauté des hommes, comme pour une expérience. La démarche et la diction mécanique de la plupart des personnages vont dans ce sens. Jean, surtout, ressemble à une marionnette, un gendarme qui se laisse battre par Guignol et en redemande. Le décor même ressemble à une table de jeu, d’expérience. Un imposant plateau est posé sur la scène, permettant apparitions et disparitions des personnages sur un axe vertical. La dimension maléfique des individus croisés par Jean pour son malheur est par là renforcée ainsi que l’importance du ciel dans la pièce (figuré par une vidéo-projection), source d’émerveillement continuel pour Jean et de méfiance pour Brecht.
Si la scénographie de Loïc Loeiz Hamon est travaillée et bien utilisée par la mise en mouvements de Elisabeth Hölzl, le choix de renforcer l’effet de distanciation des spectateurs avec la pièce laisse sceptique. L’ironie amère du texte de Brecht est suffisamment puissante pour que l’on ait pas à en rajouter – qui voudrait en effet s’identifier à un personnage comme Jean ? La mécanisation des mouvements et la création d’un personnage, sorte de Mme Loyale en charge de certaines didascalies, semblent alors inutiles.
Morgan LE MOULLAC (Paris)
Jean La Chance
De Bertold Brecht
Mise en scène de Elisabeth Hölzle
Décors et costumes de Loïc Loeiz Hamon
Création lumières et régie de Julien Barbazin
Avec : Marc Allgeyer, Damiène Giraud, Maria Gomez, Marion Lécrivain, Stéphanie Liesenfeld, Jean-François Maenner, Jean-Luc Mathevet, Laure Mathis, Jean-Pierre Rouvellat, Grégoire Tachnakian.
Jusqu’au 14 décembre 2008 au Centre culturel de La Courneuve, mercredi, vendredi, samedi à 20h30, jeudi à 19h, dimanche à 16h30.
11, avenue du Général Leclerc, 93120 La Courneuve
Réservations au 01 48 36 11 44
Crédit photo : Loïc Loeiz Hamon