27 avril 2006
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L’été dernier, l’Histoire des Larmes par le flamand Jan Fabre, artiste associé en 2005, ouvrait le bal d’un festival au parfum de scandale. La soixantième édition du festival d’Avignon s’annonce-t-elle sous de plus sereins auspices ?
Depuis la nomination des directeurs de programme Hortense Archambault et Vincent Baudriller en 2003, le festival fondé par Jean Vilar semblait devenir le fer de lance d’un engagement gouvernemental : faire d’Avignon un lieu engagé dans le débat de la modernité. Après la suppression du classement par genre en 2004, la programmation de 2005 a suscité un débat théorique remettant en cause jusqu’à la définition même de la notion d’œuvre théâtrale. Au vu de la tempête médiatique de l’année dernière, où les programmateurs ont-ils situé aujourd’hui les frontières du théâtre ?
Choix provocateurs mais valeurs sûres
La liste des spectacles de cette année semble jouer la carte des valeurs sûres. L’artiste associé, Josef Nadj, est un chorégraphe consensuel, et la place accordée à de grands noms de la danse moderne aiguille le spectateur vers l’impression d’une tonalité apaisée. Le chorégraphe crée Asobu (« jeu » en japonais) à partir de textes de Michaux dans la cour d’honneur du Palais des Papes, avec des danseurs japonais et musiciens, et Paso Doble, en duo avec le plasticien catalan Barcelo dans l’église des Célestins. Des artistes reconnus, d’Alain Platel à Pippo Delbono en passant par François Verret, exhibent sans grande prise de risque des cautions musicales ou littéraires. Alain Platel, chorégraphe connu pour la mixité de ses sources d’inspiration - mélangeant parfois l’intervention de trapézistes et d’acteurs sourd-muets - monte Vsprs, à partir d’œuvres de Monteverdi.
Poussière de soleil, chorégraphie de Josef Nadj, 2004 © Laurent Philippe
En Allemagne, l'interdisciplinarité ne choque pas
En réalité, le travail interdisciplinaire de tels artistes, provocateur dans son principe même n’étonnera que ceux qui ont été secoués par la violente onde de choc de la controverse de 2005. En Allemagne, par exemple, où Pina Bausch a élaboré le "Tanz Theater" avec une véritable liberté et rigueur formelle, ces problématiques n’ont pas lieu d’être et n’ont jamais suscité une telle impasse théorique, ni une telle désertion des salles par le public.
Meg Stuart a récemment produit l’opus Damaged Goods sur la scène de la Volksbühne à Berlin en janvier 2006. En mêlant effets dramaturgiques, projections vidéo et musique électronique, elle construit un travail d’une grande précision gestuelle, et le propos décapant de sa pièce a été applaudi dans des lieux aussi institutionnels que le Théâtre de la Ville à Paris.
Dans certains lieux plus confidentiels de la création « off » berlinoise, les jeunes chorégraphes font de l’interdisciplinarité une pratique virtuose – il n’est que de suivre la production du festival berlinois TanzTage à la Sophiensaele de janvier 2006, et en particulier la "multimediale Tanzperformance" de Yui Kawaguchi pour en mesurer l’importance. Personne ne pose la question de la légitimité de la chorégraphe japonaise, qui crée un style original inspiré du ballet, du break-dance, et de la lutte japonaise avec une utilisation magistrale de la vidéo projetée sur le décor.
Depuis le début du siècle avec les Ballets Russes, cette interdisciplinarité des arts du spectacle est une règle qui favorise l’éclosion des talents, et la danse s’est depuis lors distinguée par son ouverture et sa capacité à réunir de grandes figures artistiques au profil extrêmement divers. Sans doute faut-il voir dans la controverse qui a agité les rangs des festivaliers en juillet 2005 un phénomène mineur aux enjeux de faible importance. La personne de Jan Fabre aura probablement été l’épicentre d’une polémique dirigée contre son art plus que contre la création contemporaine. Il y aura à Avignon en 2006 des artistes au statut tout autant incertain mais au talent incontestable.
Depuis la nomination des directeurs de programme Hortense Archambault et Vincent Baudriller en 2003, le festival fondé par Jean Vilar semblait devenir le fer de lance d’un engagement gouvernemental : faire d’Avignon un lieu engagé dans le débat de la modernité. Après la suppression du classement par genre en 2004, la programmation de 2005 a suscité un débat théorique remettant en cause jusqu’à la définition même de la notion d’œuvre théâtrale. Au vu de la tempête médiatique de l’année dernière, où les programmateurs ont-ils situé aujourd’hui les frontières du théâtre ?
Choix provocateurs mais valeurs sûres
La liste des spectacles de cette année semble jouer la carte des valeurs sûres. L’artiste associé, Josef Nadj, est un chorégraphe consensuel, et la place accordée à de grands noms de la danse moderne aiguille le spectateur vers l’impression d’une tonalité apaisée. Le chorégraphe crée Asobu (« jeu » en japonais) à partir de textes de Michaux dans la cour d’honneur du Palais des Papes, avec des danseurs japonais et musiciens, et Paso Doble, en duo avec le plasticien catalan Barcelo dans l’église des Célestins. Des artistes reconnus, d’Alain Platel à Pippo Delbono en passant par François Verret, exhibent sans grande prise de risque des cautions musicales ou littéraires. Alain Platel, chorégraphe connu pour la mixité de ses sources d’inspiration - mélangeant parfois l’intervention de trapézistes et d’acteurs sourd-muets - monte Vsprs, à partir d’œuvres de Monteverdi.

Surtout, on lit en filigrane que le croisement des genres au sein de la programmation est réaffirmé en sourdine, pour ne pas effrayer les spectateurs échaudés par la dernière canicule estivale. De façon plus explicite, la présence d’un chorégraphe comme Pippo Delbono (Récits de juin au Musée Calvet) ou d’un Jan Lauwers (Le Bazar du Homar au Cloître des Célestins), artistes délibérément inclassables, provocateurs mais reconnus, laisse entrevoir pour 2006 le simple maintien des positions de l’année dernière avec des figures de plus grande envergure. Pippo Delbono a fait ses premiers pas dansés auprès de la compagnie de Pina Bausch, il travaille depuis la fondation de sa propre compagnie avec « des non-professionnels » du spectacle, souffrant pour certains de graves troubles psychomoteurs. Jan Lauwers élabore, au sein de la Needcompany un “théâtre d’art” ou une forme d’art interdisciplinaire, qui a mélangé volontiers jusqu’à présent les pièces du répertoire shakespeariens, les monologues et les solos de danse, des projets de cinéma et de vidéo - le dramaturge, également plasticien, a réalisé des oeuvres in situ dans le cadre de l’exposition Grimbergen 2002 en même temps qu’un long métrage Goldfish Game.
En Allemagne, l'interdisciplinarité ne choque pas
En réalité, le travail interdisciplinaire de tels artistes, provocateur dans son principe même n’étonnera que ceux qui ont été secoués par la violente onde de choc de la controverse de 2005. En Allemagne, par exemple, où Pina Bausch a élaboré le "Tanz Theater" avec une véritable liberté et rigueur formelle, ces problématiques n’ont pas lieu d’être et n’ont jamais suscité une telle impasse théorique, ni une telle désertion des salles par le public.
Meg Stuart a récemment produit l’opus Damaged Goods sur la scène de la Volksbühne à Berlin en janvier 2006. En mêlant effets dramaturgiques, projections vidéo et musique électronique, elle construit un travail d’une grande précision gestuelle, et le propos décapant de sa pièce a été applaudi dans des lieux aussi institutionnels que le Théâtre de la Ville à Paris.
Dans certains lieux plus confidentiels de la création « off » berlinoise, les jeunes chorégraphes font de l’interdisciplinarité une pratique virtuose – il n’est que de suivre la production du festival berlinois TanzTage à la Sophiensaele de janvier 2006, et en particulier la "multimediale Tanzperformance" de Yui Kawaguchi pour en mesurer l’importance. Personne ne pose la question de la légitimité de la chorégraphe japonaise, qui crée un style original inspiré du ballet, du break-dance, et de la lutte japonaise avec une utilisation magistrale de la vidéo projetée sur le décor.
Depuis le début du siècle avec les Ballets Russes, cette interdisciplinarité des arts du spectacle est une règle qui favorise l’éclosion des talents, et la danse s’est depuis lors distinguée par son ouverture et sa capacité à réunir de grandes figures artistiques au profil extrêmement divers. Sans doute faut-il voir dans la controverse qui a agité les rangs des festivaliers en juillet 2005 un phénomène mineur aux enjeux de faible importance. La personne de Jan Fabre aura probablement été l’épicentre d’une polémique dirigée contre son art plus que contre la création contemporaine. Il y aura à Avignon en 2006 des artistes au statut tout autant incertain mais au talent incontestable.
Cécile GUEDON (Paris)