6 juin 2008
5
06
/06
/juin
/2008
10:17

Organiser un tel projet suppose un parcours complexe depuis les institutions officielles européennes afin d’avoir des subventions, en passant par les démarches en vue d’obtenir des visas auprès des ambassades tant pour les comédiens belges en partance que pour les autochtones invités à une tournée chez nous. Ce qui prend des mois, sans garantie de réussite.
Pour se produire en public là où il est d’usage « d’accepter l’ordre établi comme étant celui qui doit exister », il est nécessaire d’avoir l’aval de la censure locale, qui a des idées bien arrêtées concernant ce qui peut être montré et ce qui ne le peut. Pas question, par exemple, d’une fin d’allure pessimiste ; au contraire tout se terminera bien… avec l’aide du parti. Pas question non plus de critiquer Hõ Chí Minh, idole toujours vénérée ; ni de se servir du drapeau rouge pour en donner une image négative, même entre les mains de personnages représentant des ennemis du régime.
Il convient donc de trouver des astuces afin de déjouer les pièges de la bureaucratie mesquine, puisque « les staliniens ont toujours eu le sens de l’ubuesque ». Ainsi, une scène finale montrant les ravages du néolibéralisme sera-t-elle déplacée en prologue, la suite n’étant qu’un flash back permanent. Par ailleurs, jouer dans l’arrière pays suppose des déplacements fréquents, notamment en barque, d’où réduction des décors à leur expression la plus simple.
Il est nécessaire de trouver des équivalents de signes scéniques différents des nôtres. Ainsi, les corn flakes inconnus au Vietnam doivent faire place au riz. Les tabous de la sexualité ne peuvent être évoqués que nimbés d’une morale sans défaut. Au surplus, difficile d’aborder certains sujets comme la prostitution ou la pédophilie, car « dans ce pays, ce qui est interdit ne peut exister, donc n’existe pas. » Les réactions du public doivent être canalisées, dans la mesure où, parfois, des spectateurs viennent prendre parti verbalement pour ou contre un personnage durant la représentation.
Résultat : « Plutôt que de faire un théâtre pauvre, faisons un théâtre de l’économie. Économie du signe, de l’accessoire, du costume, du décor, et, pourquoi pas, du texte ». Ce qui permet, là comme ici, de toucher des publics jamais concernés par le théâtre de vivre des spectacles qui sont en même temps des outils de réflexion sur la réalité. Tel est le plaidoyer de Solbreux face à la culture institutionnalisée.
Michel VOITURIER
Marcel Solbreux, « Marchandise Chair Viêtnam-Cambodge 2003/2006 », Cuesmes, Le Cerisier, 238 p. (12,80 €)